Le « front républicain », bâti entre les deux tours de ce scrutin pour limiter la vague RN qui devait déferler dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, semble donc avoir porté ses fruits, après 210 désistements de candidats du camp présidentiel ou de gauche.
Avec 177 à 198 députés selon les premières estimations des instituts Ifop et Ipsos, le Nouveau front populaire sera la première force politique au Palais Bourbon, en progression par rapport aux 151 élus de 2022 sous la bannière de la Nupes.
« Notre peuple a clairement écarté la solution du pire », a lancé le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, triomphant. « Le Premier ministre (Gabriel Attal) doit s’en aller » et le NFP doit « gouverner », a-t-il ajouté, alors que se réunissaient place de la République des milliers de personnes pour célébrer ce succès de la gauche.
– PUBLICITE –
Autre surprise majeure : la résilience du camp macroniste, crédité de 152 à 169 députés. C’est certes 80 à 100 sièges de moins qu’il y a deux ans. Mais le pari de la dissolution lancé par Emmanuel Macron au soir d’une lourde défaite aux européennes (14,6%), aurait pu se solder par une déroute bien plus importante.
« Ce soir, aucune majorité absolue ne peut être conduite par les extrêmes », s’est réjoui Gabriel Attal. S’il a annoncé qu’il remettrait lundi matin sa démission à Emmanuel Macron, il s’est aussi dit prêt à assumer ses « fonctions aussi longtemps que le devoir l’exigera », notamment à l’approche des Jeux olympiques (26 juillet – 11 août).
Mélenchon demande le départ d’Attal
Au RN, c’est la déception, symbolisée par la défaite parmi d’autres de Marie-Caroline Le Pen, sœur de Marine, dans la Sarthe.
Certes, le parti à la flamme engrange de nouveaux élus, avec 135 à 145 députés, contre 89 en juin 2022, soit « la percée la plus importante de toute son histoire », a revendiqué Jordan Bardella. Mais il voit s’évaporer le rêve de hisser son jeune patron de 28 ans à Matignon, porté par une majorité absolue qui lui semblait atteignable au soir du premier tour. Une victoire attendue qui devait ouvrir la voie à la conquête du pouvoir pour Marine Le Pen en vue de la présidentielle de 2027.
« L’alliance du déshonneur et les arrangements électoraux dangereux passés par Emmanuel Macron et Gabriel Attal avec les formations d’extrême gauche privent ce soir les Français d’une politique de redressement », a regretté M. Bardella dimanche soir.
Avec une alliance hétérogène allant de LFI au mouvement de Raphaël Glucksmann Place publique, avec notamment le retour à l’Assemblée de l’ancien président François Hollande, ou encore la réélection de François Ruffin en rupture de ban avec Jean-Luc Mélenchon, beaucoup de questions restent en suspens sur les rapports de force et les profondes divergences à gauche.
La tripartition jette en effet la France dans le brouillard, au terme d’un scrutin qui a fortement mobilisé les électeurs avec une participation estimée à 67%, la plus forte depuis 1997. Car faute d’atteindre la barre de 289 députés, ou même de s’en approcher, aucun bloc ne semble en mesure de composer seul un gouvernement.
En attendant les intenses tractations à venir, plusieurs scénarios, tous inédits sous la Ve République, se dessinent, jusqu’à la constitution hypothétique d’un gouvernement technique.
Coalition inédite en vue ?
Les partis de gauche et le camp macroniste trouveront-ils un improbable accord politique, après deux ans à ferrailler pied à pied sur la réforme des retraites ou encore la loi immigration ?
D’ores et déjà, les chefs de la majorité Stéphane Séjourné (Renaissance) et Edouard Philippe (Horizons) ont fait savoir qu’ils étaient prêts à travailler avec les autres forces politiques… mais sans RN ni LFI.
Quelle place dans le prochain dispositif pour Jean-Luc Mélenchon, chef de file de LFI dont la suprématie à gauche semble confirmée avec 82 à 86 élus selon l’Ifop, devant des socialistes revigorés (62-67 élus) ?
Le patron du Parti socialiste Olivier Faure a prévenu: il faut « de la démocratie » au sein du Nouveau Front populaire pour que les partis de gauche puissent « avancer ensemble » et gouverner.
A l’annonce du score inattendu de la gauche, des milliers de ses partisans ont afflué sur la Place de la République à Paris, un de ses lieux emblématiques de rassemblement. Dans la liesse mais avec un message: « Maintenant que la gauche est devant, il faut qu’elle soit vraiment de gauche parce que sinon les centristes et puis les fachos vont reprendre du poil de la bête », a ainsi lancé Nicolas Notis, un ingénieur de 28 ans.
La question se pose aussi de la stratégie des Républicains (LR), plongés dans la tourmente après le ralliement de leur chef Eric Ciotti au RN mais qui conservent un contingent d’élus plus que suffisant (63 à 68) pour se présenter comme un pivot à l’Assemblée. Laurent Wauquiez, élu en Haute-Loire, a cependant écarté la participation de LR à une « coalition », rejetant « des combinaisons pour échafauder des majorités contre nature ».
« Crever l’abcès »
Dans des conditions si floues, Emmanuel Macron va attendre de connaître la « structuration » de la nouvelle Assemblée à l’issue des élections législatives afin de déterminer qui il va appeler à former un gouvernement, a annoncé dimanche soir l’Élysée.
Le chef de l’État sort affaibli de cette séquence d’un mois, malgré le résultat honorable de son camp, avec notamment la réélection de Gérald Darmanin et d’Elisabeth Borne. Au moins aura-t-il « réussi à crever l’abcès » du RN, comme l’espère un de ses intimes ?
Attendu mercredi au sommet de l’Otan, le chef de l’État devra en tous cas s’employer à rassurer les partenaires et les milieux financiers sur la stabilité de la France.
La semaine qui se profile va aussi produire son lot d’âpres négociations pour les postes-clés à l’Assemblée, avant l’ouverture le 18 juillet de la 17e législature de la Ve République qui débutera par l’élection à la présidence, puis la constitution des groupes politiques.