Moetai Brotherson : la politique de Trump « s’avère désastreuse pour l’inflation aux États-Unis »

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Le président de la Polynésie était l’invité du journal de TNTV, ce mardi soir. Projet de création d’une République fédérale de Ma’ohi Nui, mesures contre la cherté de la vie, revalorisation des salaires des fonctionnaires de catégorie D, exploitation des fonds marins, ou encore conséquences de la hausse des droits de douane par l’administration Trump, Moetai Brotherson a dressé un large tour d’horizon de l’actualité locale et internationale. Interview.

Publié le 09/04/2025 à 9:00 - Mise à jour le 09/04/2025 à 11:02

Le président de la Polynésie était l’invité du journal de TNTV, ce mardi soir. Projet de création d’une République fédérale de Ma’ohi Nui, mesures contre la cherté de la vie, revalorisation des salaires des fonctionnaires de catégorie D, exploitation des fonds marins, ou encore conséquences de la hausse des droits de douane par l’administration Trump, Moetai Brotherson a dressé un large tour d’horizon de l’actualité locale et internationale. Interview.

TNTV : Pour commencer, le sujet qui préoccupe la majorité de la population actuellement est celui de la vie chère. Une problématique dont s’est saisie l’Assemblée lors d’un colloque en mars. Plusieurs propositions d’actions ne sont pas au goût du MEDEF qui s’est désolidarisé de cet événement. En tant que président du Pays, quelle suite comptez-vous donner à cette initiative ? 

Moetai Brotherson : « D’abord sur les mesures qui ont été préconisées, effectivement il y en a certaines qui sont déjà étudiées, et dont on étudie la mise en œuvre depuis qu’on est arrivé finalement. Donc rien de nouveau sous le soleil pour certaines de ces mesures. Sur d’autres mesures, comme par exemple la suppression des accords d’exclusivité. Nous sommes quasiment, je crois, la seule collectivité au sein de la République française à avoir encore ce genre de dispositifs, puisqu’il y a eu une loi au niveau national qui est venue interdire ces dispositifs. Pour revenir sur un point qui a été évoqué par l’économiste, il y a la discussion du café du commerce, mais aussi une réalité, des chiffres qu’on a relevés, un produit qui arrive à 17 francs dans un entrepôt et qui est revendu à 450 francs dans les rayons, il y a un petit bug ».

TNTV : Le « dégraissage du mammouth » comme demandé par le président du MEDEF, est-ce que selon vous c’est possible ? 

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Moetai Brotherson : « Le dégraissage du mammouth ? Il parle de l’administration. Écoutez, ce n’est pas évident, on est déjà à 35 milliards de masse salariale de la fonction publique. Vous avez vu la manière un peu démagogique dont l’opposition a voulu encore augmenter, au-delà de ce qu’avait proposé le gouvernement, les catégories D. Donc ceux-là même qui prônent depuis des années, s’érigent en chevaliers blancs du dégraissage du mammouth, viennent proposer qu’on augmente inconsidérément les catégories D. D’abord, je ne considère pas que l’administration de la Polynésie soit un mammouth. On a des fonctionnaires de qualité, il faut optimiser, il faut améliorer les process. Je crois qu’aujourd’hui, par exemple, dans certains services, ce qui est surtout reproché, c’est la lenteur des procédures ».

TNTV : L’Assemblée de Polynésie a organisé ce colloque sur la richesse. Est-ce une manière pour son président de vous dire qu’il est insatisfait de l’action du gouvernement selon vous ? Il ne s’en est pas caché lui-même…

Moetai Brotherson : « Ça c’est son analyse. Le gouvernement est là pour gouverner, l’Assemblée est là pour légiférer. Dans notre programme, et c’est un point que j’ai fait inscrire dans notre programme, nous avons la recommandation que beaucoup plus de textes qui sont examinés et adoptés à l’Assemblée émanent de l’Assemblée. Je pense qu’on va dans ce sens-là. Maintenant, il faut, je crois, ne jamais oublier qu’il y a une séparation des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif pour de bonnes raisons ».

TNTV : Pour faire baisser les prix, quelle est votre ligne de conduite ?  Libérer le marché ? Croire en une concurrence saine ? 

Moetai Brotherson : « Le marché, aujourd’hui, il est libre. Ce que nous étudions en ce moment avec le ministre de l’Economie et des Finances, ce sont ces fameux accords de modération. On a un dispositif sur lequel on travaille depuis quelques mois, avec beaucoup de concertation avec l’ensemble des distributeurs, que ce soient des gros distributeurs ou des petits distributeurs, des magasins de quartier. Et nous aboutissons à un dispositif qui, je crois, va satisfaire tout le monde et va contribuer à faire baisser les prix ».

TNTV : Vous venez d’en parler. Au sujet de la revalorisation des fonctionnaires de catégories D, les élus de l’opposition estiment qu’on pourrait consacrer une plus grande enveloppe à leurs salaires…

Moetai Brotherson : « Je vous l’ai dit, il y a 35 milliards de masse salariale aujourd’hui. Ce qui a déjà été accordé, c’est 252 millions aux catégories D, auxquelles vient de s’ajouter ce qui a été accordé, parce que c’est la loi aux infirmiers et infirmières, donc la reclassification de catégorie B à catégorie A, ce qui a été accordé aux assistants sociaux et éducatifs. Tout ça, on est déjà à 561 millions. Ce que demandait AHIP, de manière démagogique, je tiens à le redire, ça venait rajouter 142 millions. Si on veut dépasser les 36 milliards et aller jusqu’à 37 milliards de masse salariale, il faut le dire clairement ».

TNTV : Des négociations sont prévues…

Moetai Brotherson : « Il y a des discussions qui vont démarrer le 15 avril et qui vont ensuite se poursuivre le 17, mais ce ne sera pas qu’autour du point d’indice. Ce sont des discussions générales que nous avons voulues institutionnaliser, d’ailleurs, contrairement à ce qui s’était fait dans les années passées. Nous avons prévu, dans le texte, que cette période de discussion soit institutionnalisée ».

TNTV : Quand on parle du coût de la vie, il y a un paramètre que l’on ne maîtrise pas, les décisions politiques extérieures. Donald Trump a engagé une guerre commerciale mondiale avec des taxes douanières qui affecteront aussi nos produits. Est-ce que vous êtes inquiet ? 

Moetai Brotherson : « Je suis préoccupé, inquiet, pas pour l’instant. D’abord, combien de temps ça va durer ? Est-ce qu’il va faire machine arrière ? Quand on voit les réactions aux États-Unis même, on est en droit de se poser la question sur sa capacité à maintenir cette ligne qui s’avère désastreuse pour l’inflation aux États-Unis. Donc, s’il fait machine arrière, tant mieux. Ensuite, là où on est touché principalement, ce sont nos exportations de thon. La perle, beaucoup moins. Les États-Unis ne sont pas un très grand marché pour la perle chez nous. Mais c’est surtout le poisson. La majorité de nos exportations en poisson se font vers les États-Unis. Donc ça va prendre 10%. Mais tout comme vont prendre un minimum aussi 10%, toutes les autres importations de thon de par le monde, donc tous nos concurrents principaux sur le marché américain. Certains vont prendre beaucoup plus que 10% ». 

TNTV : Seriez-vous favorable à la mise en place une cellule de crise pour préserver l’emploi, comme demandé par le président du MEDEF ? 

Moetai Brotherson : « Je ne suis pas quelqu’un qui aime crier au loup. Il faut anticiper. Maintenant, est-ce que c’est le moment de mettre en place une cellule de crise ? Je ne pense pas. Nous avons de manière très conservatrice mis de côté 5 milliards sur le premier collectif de cette année que nous n’avons pas utilisé justement pour prévoir… »

TNTV : Ce sont des réserves suffisantes ? De combien de réserve le Pays dispose ?

Moetai Brotherson : « C’est un débat dans lequel je ne rentrerai pas parce que ces réserves, on les mobilise de manière dynamique. Maintenant, 5 milliards, ce n’est pas rien. Je ne pense pas qu’il faille aujourd’hui mettre en place une cellule de crise. Le président du MEDEF s’est exprimé. Je respecte sa position. Je n’ai pas à ce jour d’autres employeurs qui ont manifesté le désir que soit mise en place ce type de cellule.  Si demain, j’ai 50, 100 employeurs qui viennent me voir en me disant : ‘Président, je crois qu’il faut qu’on mette en place une cellule de crise’, à ce moment-là, on considèrera de mettre en place une cellule de crise ».

TNTV : Sur le plan social, la grève est enlisée à l’Apair-Apurad. Le 28 mars vous avez adressé un message avec le haut-commissaire pour qu’une solution soit trouvée au plus. Sans effet pour le moment. Comment trouver une issue au conflit ?

Moetai Brotherson : « Typiquement, ce conflit, normalement, le président, le gouvernement n’a pas à s’en mêler. C’est un conflit social au sein d’une entité privée. Ce que que je constate, c’est qu’au bout d’un moment, ça fait bientôt plus de trois semaines qu’ils sont en grève. Ça veut dire que les employés campent sur leur position. De l’autre côté, il semble que le dialogue soit rompu. Ce que je veux, moi, c’est rétablir le dialogue. J’ai reçu les syndicats de l’Apair-Apurad la semaine dernière et je vais recevoir demain le conseil d’administration ».

TNTV : Parlons de l’actualité de votre parti, le Tavini Huiraatira qui a organisé soin congrès ce week-end. Il a notamment été question de la création de la République fédérale de Ma’ohi Nui. Un projet que critique la représentante Tapura, Pascale Haiti. Elle estime que son coût serait très important et que la population attend des actions « concrètes » du gouvernement. Soutenez-vous ce projet ?

Moetai Brotherson : « C’est un projet que je soutiens, et je suis étonné qu’une Marquisienne ne soit pas favorable à ce projet. L’essence même de ce projet, c’est de dire que chaque archipel serait un État fédéré. Je rappelle quand même que l’État fédéral, ce n’est pas l’exception, c’est la norme dans le monde. L’Australie est un État fédéral, la Suisse est un État fédéral, les États-Unis sont un État fédéral. Les exemples ne me manquent pas ». 

TNTV : La Polynésie a-t-elle les moyens de tendre vers ce système ?

Moetai Brotherson : « Il y a deux questions qui sont, je dirais, à la fois liées et disjointes. Il y a la question de l’indépendance, et encore une fois, ce qu’on veut, c’est la souveraineté politique, et ensuite de gérer nos interdépendances économiques. Ensuite, il y a la question de la Constitution. Tout pays indépendant doit se doter d’une Constitution. Je crois qu’il est de bonne politique de s’en préoccuper avant d’être indépendant. C’est ce qu’on fait là, avec cet avant-projet de Constitution sur lequel on va inviter à la fois nos partisans, les adhérents du Tavini Huiraatita, à nous faire des retours. On va faire circuler ce projet dans tous nos tomite. Et puis, pourquoi pas, ceux de l’opposition, de la minorité, tous ceux qui ont envie de contribuer à ce débat.  Je pense que c’est de la saine politique ». 

TNTV : Mais a-t-on les moyens de faire aboutir ce projet. Il y a la question du financement. L’exploitation des ressources sous-marines semble être une piste pour votre parti, vous qui y êtes pourtant opposé. 

Moetai Brotherson : « Je suis toujours fermement opposé à l’exploitation des ressources minières. Il faut corriger aussi, tout de même, ce qui est dit parfois. Le Tavini Huiraatira ne dit pas aujourd’hui qu’il faut aller chercher ces ressources. Il dit deux choses. Il dit qu’aujourd’hui, nous n’avons pas la pleine souveraineté sur ces ressources, contrairement à ce qui est préconisé par la résolution des Nations Unies. Il y a un article du statut qui stipule que, oui, nous avons compétences pour explorer et exploiter, virgule, à l’exception des matériaux stratégiques. Si vous regardez ce qu’il y a au fond des océans, 80% de ce qu’il y a est sur cette liste des matériaux stratégiques. C’est donc la France qui est souveraine sur le fond de nos océans. Il faut quand même rappeler les choses. Ce que dit le Tavini, c’est deux choses. C’est que nous voulons être souverains sur ces ressources, pas pour forcément les exploiter, mais pour que d’autres ne viennent pas les exploiter. Demain, si Dieu nous en préserve, pour l’instant, le président Macron, lui, a une position très ferme, qui est non à l’exploitation. Mais qui sera président de la France en 2027 ? Est-ce que le nouveau ou la nouvelle présidente de la France aura toujours cette même position ? Parce que si ce n’est pas le cas, on peut très bien envisager qu’en 2027, 2028, l’État français décide de venir exploiter les fonds marins chez nous. Ça, nous n’en voulons pas. C’est une position très ferme du Tavini. Ensuite, ce que dit le Tavini, c’est qu’il ne faut pas exclure d’un projet de développement socio-économique la possibilité, le jour où la technologie permettra, éventuellement ou pas, moi je n’y crois pas… mais si un jour, il y a des technologies qui permettent de faire cette exploitation sans détruire le fond des océans, il ne faut pas l’interdire ».

TNTV : La course aux Municipales est officiellement lancée. Votre parti a annoncé des candidats sur certaines communes, dont Émile Vernaudon à Mahina. Un nom qui pose la question de la probité des élus.  C’est un sujet qui vous tient toujours à cœur…

Moetai Brotherson : « C’est un sujet qui me tient toujours à cœur, ça a été un des fondements de mon engagement politique. Je rappelle juste que le choix des candidats, c’est avant tout nos tomite oire qui décident ».

TNTV : Emile Vernaudon n’aurait pas été votre choix ?

Moetai Brotherson : « J’aurais préféré quelqu’un de plus jeune, parce que 82 ans. Bon, il est en forme. Il suffisait de venir au Congrès pour le constater (…) pour plusieurs raisons, j’aurais préféré quelqu’un de plus jeune ».

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