Tahiti Nui Télévision : D’abord, une réaction au témoignage de cette mère dont la fille a sombré dans l’ice…
Moetai Brotherson, président de la Polynésie : « Oui, un témoignage poignant qui met en lumière ce problème sociétal qu’est l’ice aujourd’hui chez nous. C’est un poison, c’est une gangrène qui frappe notre société depuis trop longtemps. Je comprends la détresse de ses parents. Aujourd’hui, notre système n’est pas adapté, il ne faut pas se le cacher. C’est un système qui n’a pas été conçu pour ce type de drogue. La prise en charge qui existe aujourd’hui est également inadaptée. Il faut changer tout ça.
Nous comptons sur les travaux qui sont menés par notre ministre de la Jeunesse et des Sports, Nahema, en coopération avec cette fédération qui vient de se monter. Je crois qu’ils étaient en atelier ce (samedi) matin avec cette fédération. C’est important d’adapter les mécanismes et de mettre plus de moyens.
Mais je crois qu’il y a aussi, et le gouvernement formera un vœu dans ce sens-là, la nécessité de réviser le dispositif judiciaire. Aujourd’hui, les peines qui sont prononcées dans les cas de trafic d’ice ne sont pas suffisamment dissuasives, ne sont pas suffisamment lourdes. Je pense qu’il faut qu’on puisse obtenir de l’État qu’il y ait des quantums de peines plus élevés pour les trafiquants d’ice. »
TNTV : Vous revenez d’un déplacement officiel à Paris. Monsieur le président, vous avez sollicité plusieurs interlocuteurs. Vous avez multiplié les échanges entre Paris et Bruxelles. D’abord, sur un plan pratique, vous évoquez la stabilité pour l’avancée des projets, l’importance d’avoir un relais fixe à Paris entre le gouvernement Barnier et le nouveau de Bayrou. Il y a encore des décisions en suspens ?
Moetai Brotherson : « Il y a encore des décisions en suspens. Effectivement, du fait des changements de gouvernement. Depuis que j’ai pris mes fonctions, je crois que j’en suis à mon cinquième ministre des Outre-mer, ça n’aide pas. Nous avons besoin d’avoir des interlocuteurs constants à Paris pour le suivi des dossiers. Nous avons tout un ensemble de dispositifs conventionnels qui nous lient à l’État. Il faut faire le point sur ces dispositifs. Nous avons eu une mauvaise surprise un peu avant Noël sur le contrat de développement et de transition pour la partie commune, avec une division plus que par deux de la cote-part qui est mise par l’État. J’ai voulu faire le point sur ces dispositifs conventionnels et que l’État nous dise clairement quelle sera sa participation à ces différents dispositifs conventionnels pour que le Pays puisse s’adapter. »
TNTV : Sur le fond, vous vous êtes déjà exprimé et vous semblez satisfait. Excepté sur le budget. Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce qu’il va falloir se serrer la ceinture aussi au fenua ?
Moetai Brotherson : « Je pense qu’il y a un effort collectif qui est demandé sur l’ensemble de la République. Les Outre-mer sont évidemment concernés. Le ministre des Outre-mer a réussi à faire passer un budget qui est en augmentation malgré tout pour les crédits de la mission Outre-mer que lui gère à son niveau. Cela représente pour l’ensemble des Outre-mer 3,5 milliards d’euros. La majeure partie des crédits dévolus aux Outre-mer, 23,5 milliards d’euros, sont gérés dans d’autres ministères, comme l’Éducation, la Santé, etc.
Il faut qu’on reste attentifs à tous ces dispositifs et à toutes ces missions qui ne sont pas encore actées. Vous le savez, il y a eu un échec du passage de la loi de finances. Tout cela doit repasser. Il y a cette période transitoire avec la loi spéciale qui a été mise en place. Mais au niveau national, ce n’est pas encore achevé. »
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TNTV : Si on prend l’exemple des Jeux du Pacifique, l’événement est-il remis en question sous sa forme actuelle ?
Moetai Brotherson : « Pour l’instant, non, mais nous attendons des confirmations. J’ai voulu réitérer au président de la République, au Premier ministre, aux ministres des Outre-mer, l’importance de cet événement qui est demain, quasiment en 2027, sachant que nous devons fournir les infrastructures mi-2026 pour qu’elles soient validées par le comité des Jeux du Pacifique. C’est un événement important pour nous, puisque nous recevons tous nos voisins, nos frères du Pacifique. Mais je pense qu’au plan diplomatique, c’est un rendez-vous que l’État français ne peut pas se permettre de rater.«
TNTV : Vous avez aussi profité de ce déplacement pour inviter Ursula von der Leyen au prochain Forum des îles du Pacifique. Quel était votre message à la présidente de la Commission européenne ?
Moetai Brotherson : « Mon message, et c’était la raison de mon déplacement à Bruxelles, c’était de dire à l’Union européenne qu’au cas où ils ne l’auraient pas remarqué, ils sont devenus invisibles dans le Pacifique. C’est paradoxal, parce qu’il y a malgré tout des moyens financiers, des partenariats qui sont mis en œuvre, au travers des PTOM d’une part, mais au travers des partenariats avec les pays indépendants de la région. Mais aujourd’hui, face aux deux grandes puissances qui sont dans notre région, la Chine et les États-Unis, finalement la présence de l’Europe est complètement invisible. Donc si l’Europe veut continuer ou recommencer à exister dans le Pacifique, il est temps, parce que je crois que ça fait 15 ans qu’un haut dignitaire de l’Union européenne n’a pas participé au Forum des îles du Pacifique, il est temps que l’Europe remette un pied dans le Pacifique. »
TNTV : Au sujet des régions ultra-périphériques, la Polynésie inscrite dans le dispositif RUP vous en rêviez, mais selon certains experts, le territoire n’est pas éligible. C’est toujours d’actualité ?
Moetai Brotherson : « Alors non, moi, je n’ai jamais rêvé que la Polynésie soit inscrite dans les RUP. Il y a deux dispositifs, il y a effectivement les régions ultra-périphériques, les DROM en font partie, la Réunion, etc. Les RUP reçoivent 22 fois plus de crédits de la part de l’Europe que les PTOM dont nous faisons partie. Maintenant tout ça a un prix, c’est le prix de l’autonomie, c’est le prix de l’indépendance pour d’autres, puisque pour être RUP, il faut finalement céder toute une partie de ses compétences à l’Union européenne. Les RUP n’ont pas la maîtrise de leur politique de pêche, les RUP n’ont pas la maîtrise de leur politique agricole et dans d’autres secteurs également, ils ont délégué ses compétences à l’Union européenne. Vous pensez bien que la succession des présidents autonomistes n’a pas voulu aller dans ce sens-là, ce n’est pas un président indépendantiste qui ira dans ce sens-là.
Moi, je plaide pour une augmentation des moyens dévolus aux PTOM. »
TNTV : Dans l’actualité il y a aussi ces actions de l’Azerbaïdjan dans les territoires ultramarins. Le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, dénonce des opérations d’ingérence et de déstabilisation. Quelle est votre position ? Vous condamnez comme le ministre ces agissements ?
Moetai Brotherson : « Je n’ai pas lu réellement les déclarations de Manuel Valls. L’État a sa perspective sur ce qui se passe dans ses collectivités. Les collectivités elles-mêmes ont leur perspective qui peut être différente. Je ne sais pas ce que veut l’Azerbaïdjan, ce n’est pas mon souci. Mon souci, c’est que l’État précise ses intentions pour ses collectivités et entame un réel dialogue, que ce soit en Nouvelle-Calédonie ou chez nous. »
TNTV : Un congrès du Front international de décolonisation a été organisé jeudi et vendredi en Nouvelle-Calédonie. Justement, nous comprenons que les membres du Tavini Huira’atira étaient présents. Vous soutenez cette action ?
Moetai Brotherson : « Ça s’inscrit dans la logique de la ligne politique du Tavini Huira’atira. C’est ce que j’ai toujours dit et ce que je continuerai à dire. Moins l’État mettra en place le dialogue, plus les partis politiques qui cherchent la souveraineté, qui cherchent l’autodétermination, devront se tourner vers d’autres possibilités. »
TNTV : L’actualité récente du Fenua, c’est cette menace de grève de la Fraap qui est toujours d’actualité. Le Conseil supérieur de la fonction publique s’est tenu ce lundi. Que répondez vous au syndicat qui s’en remet à vous dans cette affaire ?
Moetai Brotherson : « La dernière fois qu’on s’est vu avec la Fraap, on avait proposé un protocole de sortie de grève avec trois articles principaux qui répondaient aux trois revendications de leur préavis. Nous étions tombés d’accord sur ces trois premiers articles. Le seul désaccord comportait sur le quatrième article, à savoir qu’ils voulaient une suspension et que nous, nous demandions une levée de la grève. Ce que je retiens donc, c’est qu’ils sont d’accord sur les trois premiers articles. Nous avons répondu à l’ensemble des demandes qui ont été formulées par la Fraap. Cette grève, pour moi, n’a plus lieu d’être. »
TNTV : Dans votre agenda, le prochain Conseil des ministres, le quatorzième, qui se tiendra à Nuku Hiva. Une question sur Hiva Oa, qui souhaite construire son propre musée pour présenter sur place des collections d’objets marquisiens. Les musées sont de compétence Pays. Accepteriez-vous de déléguer cette compétence à la commune de Hiva Oa pour que ce projet sorte de terre ?
Moetai Brotherson : « Il faudrait déjà que la commune nous réponde franchement. Puisque la dernière fois que nous nous étions vus, nous avons reçu la Hakaiki de Hiva Oa en Conseil des ministres. Pour qu’elle présente son projet, nous avons bien écouté ce qu’elle avait à dire. Mais aujourd’hui, nous ne savons toujours pas si ce musée doit être géré par la commune, par une association, par la Codim. Tant que nous n’avons pas ces précisions, nous ne pourrons pas avancer sur ce dossier. »