Nuihau Laurey : « Augmenter les impôts, ce n’est pas la solution, c’est aggraver le problème »

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Le représentant non-inscrit à l’Assemblée de Polynésie et vice-président du parti A Here Ia Porinetia, Nuihau Laurey était l’invité du journal en français de TNTV, ce samedi soir, notamment pour apporter son point de vue sur le budget et la fiscalité du Pays. Avec une trésorerie de 50 milliards de francs, l’élu considère que le gouvernement pourrait « baisser massivement les impôts », mais aussi réduire la dette de la Polynésie. Alors qu’au contraire, selon lui, l’exécutif « veut taxer encore plus les loyers, les dividendes, les Airbnb ». « En ayant cette politique fiscale, on va décourager les investissements et l'activité. Il y aura moins d'emplois et finalement, on aura encore plus de personnes dans la pauvreté », dit-il. Interview.

Publié le 29/12/2024 à 8:13 - Mise à jour le 29/12/2024 à 8:29

Le représentant non-inscrit à l’Assemblée de Polynésie et vice-président du parti A Here Ia Porinetia, Nuihau Laurey était l’invité du journal en français de TNTV, ce samedi soir, notamment pour apporter son point de vue sur le budget et la fiscalité du Pays. Avec une trésorerie de 50 milliards de francs, l’élu considère que le gouvernement pourrait « baisser massivement les impôts », mais aussi réduire la dette de la Polynésie. Alors qu’au contraire, selon lui, l’exécutif « veut taxer encore plus les loyers, les dividendes, les Airbnb ». « En ayant cette politique fiscale, on va décourager les investissements et l'activité. Il y aura moins d'emplois et finalement, on aura encore plus de personnes dans la pauvreté », dit-il. Interview.

TNTV : À l’occasion de l’examen du budget 2025 du Pays, tous vos amendements ont été rejetés, cela signifie quoi, pour vous ? 

Nuihau Laurey : « C’est une grande nouveauté finalement que la minorité dépose autant d’amendements et c’était effectivement notre objectif de faire en sorte qu’on ne soit pas exclusivement dans la critique, mais qu’on essaye de proposer sur tous les sujets une autre manière de voir les choses. C’est pour ça qu’on a proposé ces amendements. On a été assez déçus effectivement que la quasi-totalité a été rejetée ».

TNTV : Pour vous, ce budget 2025 du Pays porte en lui l’idéologie indépendantiste du Tavini ? 

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Nuihau Laurey : « Pour nous, ce budget, c’est un budget finalement de continuité. On ne voit pas du tout de rupture. Le Tavini a fait une campagne électorale qui était basée sur la rupture. Je pense que c’est pour ça que beaucoup d’électeurs non indépendantistes ont choisi de voter pour le Tavini. Je pense que beaucoup ont été déçus parce que toutes ces promesses de réforme et de changement, finalement depuis deux ans, on ne les voit pas du tout. C’est vrai que le gouvernement, l’année dernière, nous avait annoncé beaucoup de réformes pour le budget de l’exercice 2027. On ne les a toujours pas vues. Il n’y a toujours pas de réforme de fond sur la protection sociale, il n’y a toujours pas de réforme fiscale importante.Sur la cherté des prix, parce que c’est un sujet qui concerne tous les Polynésiens, on nous a annoncé une réforme du système des PPN, avec un système de cartes destinées aux plus nécessiteux. Il n’y a toujours pas ce dispositif. Le président nous a annoncé à échéance de 10 ans ou plus, 600 000 touristes, qu’il fallait repenser ATN.Il y a énormément d’annonces, et de ce point de vue-là, on a effectivement un président qui est un bon communicant. Mais derrière, et nous on le voit à l’Assemblée, aucune mesure importante n’a été mise en œuvre. Si on posait la question d’un bilan au bout de quasiment deux ans d’exercice, qu’est-ce qui a réellement changé dans la gestion du Pays ? Franchement, je n’ai pas grand-chose à indiquer par rapport à ce que nous voyons à l’Assemblée ».

TNTV : Au sujet de la hausse de la TVA sur les produits sucrés. Est-ce une bonne chose pour lutter contre l’obésité et le diabète ou une menace sur le dynamisme de nos entreprises ? 

Nuihau Laurey : « Je ne pense pas que c’est en taxant plus qu’on va arriver à changer les comportements. C’est vrai que c’est compliqué.Les produits sucrés sont à l’origine de beaucoup de pathologies qui sont coûteuses pour la CPS, et il faut faire beaucoup de prévention, même si on a le sentiment que ça ne fonctionne pas. Il faut changer effectivement depuis l’école les comportements. Donc, de ce point de vue-là, je pense qu’un certain nombre de choses ont été réalisées, mais pas suffisamment.À côté de ça, augmenter aujourd’hui le prix des produits sucrés, quels qu’ils soient, dans un contexte où l’alimentation a beaucoup augmenté ces deux, trois dernières années. Je ne pense pas que ça aille dans le sens de l’amélioration du pouvoir d’achat des Polynésiens. C’est ce qu’on a dit à l’Assemblée. Encore une fois, c’est le problème de la fiscalité.Ce gouvernement, en tout cas, c’est comme ça qu’on le voit, semble penser que c’est en augmentant les taxes et les impôts qu’on va régler les problèmes. Pour nous, ces taxes et ces impôts aujourd’hui constituent le problème, parce qu’ils diminuent le pouvoir d’achat des ménages. Et finalement, en ce moment, les caisses du Pays sont particulièrement remplies.On est à plus de 51 milliards de trésorerie. C’est une première historique. Pas parce que le Pays est bien géré, mais parce que les prix ont beaucoup augmenté et, mécaniquement, les taxes augmentent et elles tombent dans les caisses du Pays. Je pense qu’aujourd’hui, le vrai problème, c’est le pouvoir d’achat des ménages, des Polynésiens, notamment des plus modestes.Et je pense que c’est pour ça qu’on a vu en 2024, énormément de conflits sociaux, et notamment le dernier qui concernait la catégorie D des fonctionnaires du Pays. Donc pour nous, augmenter les impôts, ce n’est pas la solution, c’est aggraver le problème ».

TNTV : A quoi pourraient servir ces 50 milliards de francs de trésorerie, selon vous ?

Nuihau Laurey : « On a fait des propositions pour permettre au Pays de se désendetter plus rapidement, parce que nous avons énormément de dettes et qu’on les paye. On paye des intérêts. Les intérêts et le capital en remboursement est passé de 11 milliards à 17 milliards. Ça fait quasiment 6 milliards de plus que nous payons tous chaque année. Et donc c’est pour ça que nous plaidons pour une accélération du remboursement de la dette. Mais surtout pour nous, dans ce contexte-là où les caisses du Pays sont pleines, le vrai sujet, c’est de soutenir le pouvoir d’achat des ménages. Et on est dans un contexte où on peut baisser massivement les impôts. Ça veut dire aussi que le Pays doit faire des économies, doit diminuer son train de vie, doit essayer de réduire les dépenses inutiles. Et ça n’est pas la voie que nous voyons aujourd’hui. Je pense qu’il y a des habitudes qui se prennent rapidement. Dans chaque collectif qui a été présenté à l’Assemblée, nous avons essayé de proposer des pistes de réflexion pour baisser ces dépenses publiques et parvenir à baisser les impôts. Chaque fois, les propositions que nous avons faites ont été rejetées. Alors c’est vrai qu’on a aujourd’hui un nouveau ministre de l’Économie qui est plus sensible, qui a une vraie connaissance du tissu économique, et qui partage beaucoup des propositions que nous faisons. Par contre, il n’est pas le seul au gouvernement. Et il y a une idéologie qui fait que ces mesures-là, elles sont mises de côté. Et c’est dommage parce qu’on va en payer le prix dans les années qui viennent ». 

TNTV : Le SMIG a augmenté de 2,38 % au 1er mai pour aider les familles les plus modestes. Les familles les plus aisées s’en sortent. Mais la classe moyenne perd beaucoup en pouvoir d’achat. Comment la soutenir ? 

Nuihau Laurey : « Toutes les mesures fiscales qui ont été mises en place depuis deux ans ne sont pas bonnes. Elles rendent finalement difficile l’investissement et l’activité. On le voit avec ce texte-là qui a été soumis au CESEC, où on veut taxer encore plus les loyers, les dividendes, les Airbnb, qui sont déjà très taxés. Et finalement, avec ce type de mesures, je pense que le gouvernement va décourager encore plus le peu de personnes ici qui continuent à vouloir investir et à créer de l’activité. Aujourd’hui, on est en compétition avec l’ensemble des pays du monde et beaucoup de pays essayent d’attirer les investisseurs. Et nous, au lieu d’avoir cette démarche, on fait fuir nos investisseurs. Il faut bien se rendre compte que l’essentiel des investissements qui sont réalisés en Polynésie sont faits par des locaux, par des gens d’ici, qui croient dans leur pays. Et le fait d’augmenter de cette manière les impôts, d’ajouter de la difficulté concernant le VFA, concernant la défiscalisation, concernant les exonérations qui existaient pour les matériaux de construction. Finalement, on vient décourager l’investissement. Et ce qui est mis en avant, c’est la situation de précarité de beaucoup de personnes. Mais ce n’est pas comme ça qu’on va aider les plus démunis. Je pense qu’en ayant cette politique fiscale, on va décourager les investissements et l’activité. Il y aura moins d’emplois et finalement, on aura encore plus de personnes dans la pauvreté. Et c’est de ce point de vue qu’on essaie d’intervenir à l’Assemblée, y compris en déposant des amendements pour bien montrer au gouvernement qu’on n’est pas dans une opposition idéologique. On essaie de pointer du doigt le fait que ces choix sont des mauvais choix. C’est sûr qu’on ne va pas en voir les conséquences dans les trois mois, dans les six mois qui viennent. Mais lorsque vous découragez les personnes qui peuvent investir, vous parlez de la classe moyenne, finalement, dans les deux, trois, quatre, cinq ans qui vont venir, on va voir des investissements qui vont diminuer progressivement. Dernier point, le président a parlé d’aller chercher des investisseurs à l’extérieur, notamment à Singapour. On ne les voit toujours pas. Et nous, nous pensons que les premiers investisseurs de notre pays, ce sont les locaux »

TNTV : Parlons de la réforme de la protection sociale à présent que vous évoquiez. En 2025, la majorité entend faire passer la fin de la primauté du RGS, le régime des salariés, et soumettre à cotisation les dividendes des entreprises et les revenus locatifs pour récupérer près de 3 milliards de cotisations sociales. Etes-vous favorable à cette mesure ? 

Nuihau Laurey : « Comme je le disais, il y a 50 milliards dans les caisses du Pays et il n’arrive pas à les utiliser. On a une situation où le pouvoir d’achat des ménages est le plus faible de ces 20 dernières années, compte tenu de l’inflation importante. Ce n’est pas parce que l’inflation a été maîtrisée cette année que les prix ont diminué. Non, les prix restent très élevés. Quand vous allez faire vos courses, vous le voyez. Vous voyez la différence qu’il y a dans le caddie. J’aime bien ce terme, la fin de la primauté du RGS. C’est un beau nom en fait, mais ça cache une chose qui est très simple : c’est taxer encore plus ce qui est déjà taxé. Les loyers sont déjà taxés, les revenus locatifs sont déjà taxés, les dividendes sont déjà taxés. Donc, on vient ajouter une couche de taxes supplémentaires en se disant que ça va résoudre le problème. Non, ça va décourager ceux qui aujourd’hui continuent à croire et investir dans notre pays. Je pense qu’avec ce niveau de trésorerie du Pays, il faut complètement changer de logiciel. Comme on le dit depuis deux ans à l’Assemblée, on est dans un contexte où le Pays a les moyens de se permettre de baisser massivement les impôts et de s’obliger lui-même à faire des efforts avant de demander à la classe moyenne et à tous ceux qui veulent encore investir de payer encore plus de taxes.  On a la chance d’avoir des personnes qui croient dans notre pays. La plupart des gens investissent ici. Des gens qui ont atteint un certain âge, qui ont fait des économies. Ils n’investissent pas dans d’autres pays. Ils décident d’acheter un deuxième appartement pour les enfants. Ils décident d’investir pour assurer une retraite plus importante. Ça permet de relancer l’activité, ça donne de l’emploi à des gens dans le bâtiment et ça permet, finalement, de faire tourner la machine économique. Mais si vous dites à ces personnes qu’on ne veut pas de vous, on va vous taxer encore plus, allez investir ailleurs, à un moment ils vont le faire ».

TNTV : Avant de conclure, parlons un peu de votre parti. Vous avez mis en place l’école de la gouvernance. Ce dispositif porte-t-il ses fruits alors que les élections municipales approchent ?

Nuihau Laurey : « C’est vrai qu’il y a les municipales, mais notre objectif, c’est vraiment de former une nouvelle classe de personnes qui veulent s’impliquer dans la vie publique, en leur donnant toutes les connaissances. C’est-à-dire en expliquant comment fonctionne le budget, comment fonctionne la PSG, quelles sont les compétences des communes pour avoir des élus mieux formés et mieux en capacité d’avoir de vrais débats. On le voit à l’Assemblée, on a beaucoup de nouveaux représentants qui ne connaissent pas les rouages de l’Assemblée, qui ne sont pas suffisamment formés. Et on se dit que c’est aussi le rôle des partis politiques de former cette nouvelle catégorie d’élus ».

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