TNTV : Nous venons de le voir dans le sujet précédent. Vous faites partie des douze communes qui distribuent de l’eau potable, mais pour l’assainissement des eaux usées, Faa’a a fait le choix de ne pas se raccorder à la station d’épuration de Papeete. Comment comptez-vous vous mettre aux normes ?
Oscar Temaru : « J’aimerais faire une rétrospective, parce qu’il y en a qui sont amnésiques de ce qui s’est passé dans notre pays depuis une quarantaine d’années. En 1986, je me suis présenté pour la première fois à l’élection au gouvernement de notre Pays. Et je suis allé à cette élection avec un caillou que j’ai ramassé dans le ruisseau de Faa’a, à côté de chez moi. C’était pour leur parler des ressources de notre pays, leur dire que dans le sol sous-marin de notre pays, il y a ce qu’on appelle les nodules polymétalliques. Personne n’avait entendu parler de ça. On m’a pris pour un fou. Gaston, je me rappelle très bien ses propos, disait que le peuple demande du pain et lui, il nous emmène des cailloux. Et je demande à la population de Faa’a d’aller payer vos impôts avec des cailloux. Qu’est-ce que je n’ai pas ramassé…Aujourd’hui, j’ai entre mes mains ce qu’on appelle les nodules polymétalliques qui viennent de Rarotoa. Ils sont en train d’exploiter ça aujourd’hui. Vous savez ce que ça rapporte au kilomètre carré ? 10 à 15 milliards de dollars US. Ça fait 1600 milliards de francs au kilomètre carré. Voilà ce que ça rapporte. Imaginez ça à l’échelle de notre pays, même pas à l’échelle de notre pays, même pas au dixième de notre pays. Sur 1000 kilomètres carrés, par exemple, jusqu’à Papara, de cette superficie-là. Ça ferait plus de 1 million 500 milliards de dollars. Il y a de quoi payer toutes ces dépenses. J’étais au courant de toutes ces dépenses qui allaient arriver et quels sont les moyens qui ont été mis en place ? Il ne faut pas oublier de rappeler non plus que Gaston, à son époque, avait sciemment décidé de diminuer ce qu’on appelle le taux de participation du FIP à la gestion des communes, le taux de prélèvement, qui était à l’époque de 25%. Il l’a descendu 22%, 20%. Et c’est la commune de Faa’a qui est allée en justice (…) Au-delà de 15%, ils ne pouvaient pas aller plus loin. Et c’est comme ça que ça s’est arrêté à 15%. Et c’est moi qui ai fait relever ce taux de prélèvement, aujourd’hui, qui est de 17%. Quelle est la participation de l’État français dans ces 17% ? C’est-à-dire 17 milliards, à peine un milliard. Voilà la participation de l’État. Et c’est pour ça que je dis au tavana que notre pays a des ressources, mais il y a des décisions importantes à prendre. Il faut arrêter d’avoir un comportement enfantin. Ça fait 40 ans qu’ils vont à Paris. Ils n’ont pas trouvé de solution pour leur eau, pour leurs déchets. Je n’ai jamais été à Paris. On a trouvé nos solutions à Faa’a ».
TNTV : Les communes ont-elles selon vous suffisamment d’autonomie financière pour mener à bien leurs projets, ou sont-elles trop dépendantes du Pays et de l’État ?
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Oscar Temaru : « C’est une organisation, je dirais, néocolonialiste. L’idéal, ça serait que notre Pays ait une constitution et que les communes participent au développement de notre pays. Mais c’est le pays qui doit d’abord donner ce qu’on appelle aujourd’hui le SAGE, le Schéma directeur d’aménagement général. Et les communes arrivent ensuite avec leurs PGA (…) Aujourd’hui, on nous divise entre nous, avec les partis politiques. Ça, c’est l’État colonial. Il faut dégager tout. Ça fait 50 ans que je dis que ce pays a besoin d’une constitution. Voilà ce dont nous avons besoin ».
TNTV : On vient de la voir dans le reportage précédent. Vous avez obtenu une relaxe définitive, cette année, dans le dossier Radio Tefana. Comment avez-vous réagi ?
Oscar Tamaru : « C’est vrai que j’ai été relaxé. Mais j’aimerais quand même rappeler tout ce qui s’est passé. Franchement, on m’a pris pour un voyou. C’est un manque de respect pour le tavana de la commune de Faa’a. Je n’ai jamais été condamné. Un beau matin, je me réveille. Je voulais savoir ce qu’il y avait sur le compte. Non seulement de mon compte à moi, mais aussi de mon épouse. Et je vois qu’il n’y a plus rien. Je rappelle la banque. Je leur dis : ‘ vous avez volé mon argent’. Je plaisantais. Elle me dit : ‘Non, la banque ne vole pas ton argent. Qu’est-ce que tu racontes ?’. Ils ont vérifié. Ils m’ont rappelé plus tard (..) Et donc, vers 17h, c’est le directeur de la banque qui me rappelle pour me dire : ‘Il y a eu une descente de la gendarmerie. Les gendarmes sont venus ici. Sur l’ordre du procureur, ils sont allés prendre l’argent qu’il y a sur votre compte’. Je me suis dit : ‘Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Je n’ai pas volé. Ce n’est pas possible’. Et effectivement, il n’y avait plus rien sur le compte. Et en même temps, est tombée la décision du Conseil d’État de me retirer de mes fonctions de conseiller à l’Assemblée. Ça fait que je me suis retrouvé comme à nu. J’ai dit : ‘Mais ce n’est pas possible. On veut ma peau’. C’est ce que m’a dit mon avocat. Et là, j’ai beaucoup prié, vous savez. Et je me suis dit : ‘ Je ne vais pas me laisser abattre. Je me battrai jusqu’au bout’. Cette décision a été prise. C’est une décision politique. C’est pour me mettre à genoux. Non, jamais. (…) Ce pays nous appartient. Nous avons des droits. C’est la France qui doit nous respecter chez nous. On n’est pas venus coloniser la France. Il y a des droits. Il faut les respecter. Et aussi, la France, je rappelle, est signataire de la Charte des Nations Unies. Il ne faut pas oublier ça. Et donc, mon argent, je ne sais pas où il est. Mon avocat est en train de chercher. Donc, il faut qu’il aille à Paris. Il faut qu’il aille faire des recherches et tout ça. Je ne sais pas si sur la somme qui a été prise, j’aurai la totalité ».
TNTV : Parlons à présent du budget 2025 du Pays qui vient d’être adopté par la majorité. Pensez-vous que les mesures sont suffisantes pour améliorer le pouvoir d’achat des familles ?
Oscar Temaru : « C’est quelque chose que j’entends souvent. Mais quand on importe la presque totalité de ce que nous mangeons, il ne peut pas y avoir quelque chose de moins cher. Il faut que ces gens-là gagnent de l’argent également. Il y a un certain temps de ça, je disais à la population qu’il faut planter, il faut mettre la main à la terre. Le manioc, le tarua, la patate, le maiore. Tout ça, ça ne pousse pour rien dans notre pays. Tout pousse dans notre pays. C’est déjà énorme et c’est mieux pour notre santé. Aujourd’hui, on se rend compte qu’on a été plongé dans cette société de consommation sans qu’on ne s’y attende. Jusqu’aux années 1963, c’est-à-dire avant l’arrivée du CEP chez nous, on ne consommait pas toutes ces saloperies : le Coca-Cola, les steaks frites, tout ce que nous voyons aujourd’hui sur les roulottes. Une des causes des maladies cardiovasculaires que nous connaissons aujourd’hui, et toutes les autres pathologies viennent de ce que nous mangeons. C’est pour ça que je dis que si ça coûte cher, c’est parce que ça fait des années qu’on a laissé de côté ce qui est à nous. Il faudra y revenir. C’est ce qui me fait plaisir actuellement, de revoir les familles qui mettent la main à la terre. C’est ça la solution pour l’avenir. Ensuite, on va exploiter nos ressources qui sont là, qui n’attendent que nous ».
TNTV : La commune de Faa’a a décidé de candidater à la reprise de la concession aéroportuaire. C’est important à vos yeux ?
Oscar Temaru : « Oui, c’est une vieille histoire également parce que cet aéroport, la commune de Faa’a, n’en tire rien du tout. Cela a été géré au tout début par la SETIL. C’était une société territoriale qui marchait plus ou moins bien. Vers les années 2004, il y a eu ce qu’on a appelé à l’époque l’instabilité sur le plan administratif, territorial. Un certain haut-commissaire de l’époque a trouvé le moment opportun pour dissoudre la SETIL et mettre en place une autre société qui venait de France : ADT. Parce qu’il savait pertinemment qu’il y a de l’argent à Faa’a. Il faut aller à Faa’a, c’est une mine d’or. Cela s’est voulu d’avance. Et quand on a vu la façon dont il a organisé tout cela, c’est-à-dire sans prévoir ce qu’on aurait dû faire, un appel d’offres, là on n’a pas loupé l’occasion pour aller devant le tribunal administratif, et le conseil d’État, qui a donné raison à la commune de Faa’a. Ce qui fait que l’année dernière, M. le haut-commissaire, pas celui-ci, celui qui est parti, est venu me voir avec M. Edouard Fritch pour parler de cet aéroport. Pour dire : ‘Voilà ce qu’il faut faire à l’aéroport de Faa’a, tout cela va aller en croissance, on aura besoin de cela, et cela va coûter des milliards’. Et là, je lui ai dit que nous n’en sommes plus là. Édouard Fritch était là également. Que depuis 2013, le 17 mai, notre pays a été réinscrit sur la liste des pays à décoloniser. Nous avons besoin de cet aéroport. C’est un outil indispensable au développement de notre pays. Il faut nous rendre cet aéroport. Qu’est-ce que je n’ai pas dit là ? Il m’a dit : ‘si jamais c’est la commune de Faa’a qui va gérer cet aéroport, la France, les banques ne vous prêteront pas d’argent, vous n’aurez pas un sou’. Et là, je lui ai dit : ‘M. le haut-commissaire, il n’y a pas que la France qui a de l’argent’. Et notre rencontre s’est arrêtée là ».
TNTV : Mais aujourd’hui, il y a eu des discussions avec les autres tavana des communes ?
Oscar Temaru : « Oui, ça va venir après. Et là, on a mis en place une nouvelle société qu’on appelle Motu Tahiri avec des associés de Chine qui ont les moyens financiers énormes pour cet aéroport de Faa’a. Et nous avons rencontré les maires de plusieurs communes. Et je fais appel encore aux autres communes s’ils veulent nous rejoindre. C’est parce que l’aéroport de Faa’a, qu’on le veuille ou non, c’est le poumon de notre pays. Il n’y a pas de touristes qui arrivent à Bora Bora sans passer par Faa’a. Tout passe par Faa’a. Faa’a, c’est le poumon de ce pays. Et donc, j’aimerais bien que toutes les communes viennent participer (…) Peut-être qu’eux aussi, un de ces jours, ils auront besoin de nous. On sera là aussi ».
TNTV : Les prochaines Municipales tiennent en 2026. Comptez-vous briguer un nouveau mandat ?
Oscar Temaru : « Je ne sais pas. Lui seul le sait (…) Je souhaite une bonne fête de fin d’année à toute notre population de Maohi Nui. Et dire merci, merci, seigneur, merci de nous avoir créé ce si beau pays, ce pays aussi vaste que toute l’Europe. Ça nous appartient. Il faut se mettre ça dans notre tête ».