TNTV: Un peu plus de 60% de taux de participation au premier tour, soit 1,5 point de moins qu’en 2018. Comment interpréter ce chiffre ?
Sémir Al Wardi : « Pour expliquer l’abstention, il y a deux façons : la première, c’est de dire que la Polynésie est une démocratie, et que dans toutes les démocraties, il y a un recul de la participation. Il est expliqué par un rejet de l’offre politique, avec une critique assez sérieuse de la classe politique. Nous ne sommes pas, nous, à l’abris de ce genre de chose et, clairement, on peut dire que ces analyses faites sur les autres démocraties s’appliquent à nous. »
TNTV : Comment parvenir à mobiliser davantage les électeurs au second tour ?
Sémir Al Wardi : « D’abord, quand on regarde les élections en Polynésie, on voit qu’il y a toujours une augmentation de 5 à 6 points pour le second tour. À mon avis, cette fois-ci, ça peut même monter un peu plus pour une raison très simple : on se retrouve dans une situation assez nouvelle avec le parti indépendantiste en tête et des partis autonomistes divisés. Donc, selon le déroulement de la campagne, on peut mobiliser un peu plus d’électeurs. Il y a quand même un réservoir de 80 000 voix qui ne se sont pas présentées, parce que là, beaucoup de choses sont en jeu. »
TNTV : Justement, en fonction de quoi votent ces électeurs ? Du programme ? De la personnalité des candidats ?
Sémir Al Wardi : « C’est une bonne question parce que la science politique s’intéresse beaucoup aux élections et on essaie de comprendre quels sont les processus mentaux, c’est-à-dire quelle est la part psychologique dans le vote. Il y a une première approche qu’on appelle l’identification partisane, c’est ce qu’on appelle ici le vote affectif qui veut dire que les gens ont tendance à voter de la même façon dans la famille depuis assez longtemps et qu’il y a un rapport, un lien particulier, avec un homme politique. Ce type de vote, on peut le voir avec le résultat de Gaston Flosse. Il draine 14 000 voix. Il draine des gens qui ont un rapport particulier avec lui. D’autant plus qu’il n’a pas fait campagne sur un thème, mais sur lui, le fait qu’il est pratiquement en fin de vie politique, etc. On est beaucoup plus dans l’affectif. Après, le deuxième élément, c’est le rapport qu’il y a entre ce qu’on attend du gouvernement et ses besoins. On appelle ça l’identification idéologique. Quelle est ma situation ? Que faudrait-il pour améliorer mon quotidien ? Et, enfin, il y a un troisième élément qui entre en jeu, c’est l’image, la personnalité de l’homme politique. Est-ce que cet homme politique donne une bonne image de probité, d’expérience, de compétence ? Il y a tous ces éléments qui se déclinent. En réalité, les processus mentaux interviennent dans les temps longs et, à la fin, il y a le temps court : la campagne électorale. Qu’est-ce qui va se passer durant cette campagne ? Qu’est-ce qui va être dit ? Qu’est-ce qui va être brandi pour faire peur ou pas ? Et là, il y a une part, surtout chez les indécis, qui peut changer ou confirmer leur vote ».
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TNTV : Pour ce second tour, Edouard Fritch brandit davantage qu’au premier tour le clivage autonomie/indépendance. Gaston Flosse, en tant que souverainiste, empiète sur les plates-bandes des indépendantistes depuis des années mais, aujourd’hui, il appelle à une alliance des autonomistes avec le Tapura pour faire barrage au Tavini. Comment l’analyser ?
Sémir Al Wardi : « C’est vrai que pour un observateur comme moi, quand on regarde les échanges qui ont été particulièrement brutaux, la semaine dernière sur les plateaux, ce rapprochement peut étonner. Maintenant, il est évident que Gaston Flosse est quand même le père de l’autonomie de 1984 et de 2004 et, qu’au fond, son électorat est essentiellement autonomiste. Donc là, il n’y a pas vraiment de surprise. En même temps, c’est un stratège. Qu’il mette en jeu ses 14 000 voix avec le Tapura, en exigeant bien évidemment en échange certaines choses, ça lui permet, alors qu’il a été éliminé au premier tour, de rester dans la course. Donc on se retrouve avec un Tapura effrayé par les résultats et lui qui n’est pas au second tour mais qui dispose de voix assez conséquentes. Il est évident que sur le papier, cette stratégie peut sembler porteuse. »
TNTV : Les deux partis ont donc, sur le papier, tout à gagner avec cette alliance. Mais n’est ce pas de nature à perturber les électeurs ?
Sémir Al Wardi : « Alors ça, c’est l’autre aspect. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, les voix de Gaston Flosse sont surtout de l’ordre de l’affectif, donc on peut faire l’addition. Cependant, quand on regarde la campagne de près, tous les partis politiques souhaitent le changement. Ils ont demandé plus de probité. Et là, évidemment, qu’il y ait ce type d’alliance, qui était improbable il y a juste une semaine, cela peut provoquer un sentiment de rejet. Donc, c’est pratiquement un coup de poker. Ça peut fonctionner si ça s’additionne, ça peut aussi provoquer un rejet d’une bonne partie de l’électorat. »
TNTV : Le clivage autonomie / indépendance parle-t-il toujours aux électeurs ?
Sémir Al Wardi : « Ce qui est certain, c’est que c’est le clivage qui structure la représentation politique en Polynésie. Mais il est évident, parce que c’est leur intérêt, que les autonomistes vont appuyer fortement sur l’existence de ce clivage. Pas tous les autonomistes, puisque Nuihau Laurey a dit, hier soir, qu’il n’était pas question de parler de ça mais de la cherté de la vie, de l’emploi, des problèmes sociaux. C’est ce que fait aussi le Tavini : mettre en avant les problèmes économiques et sociaux. Donc on a d’un côté le parti de Nuihau Laurey et le Tavini, qui vont appuyer sur le fait qu’il y a des problèmes économiques et sociaux et, de l’autre, on aura évidemment le Tapura reconstitué qui va appuyer sur le clivage autonomistes/indépendantistes, parce que c’est leur intérêt.»
TNTV : Au-delà de l’idéologie, comment analysez-vous le projet de société des indépendantistes et surtout existe-t-il ?
Sémir Al Wardi : « Quand on lit la profession de foi, il existe. Mais ce qui est intéressant avec le Tavini, c’est qu’il y a le désir de se présenter comme un parti plus social que les autres. Et en même temps, il y a le fondement même du parti qui est l’indépendance. Nous avons en réalité deux courants au sein du parti : un courant resté sur les fondamentaux et un nouveau courant qui présente quelque chose qui sort du clivage indépendantistes/autonomistes pour ne proposer qu’un aspect social pour lutter contre la misère. Il est évident que ce second courant rassure une partie de l’électorat et que le premier peut effrayer une partie de l’électorat autonomiste. Ce sont les 15 jours -de campagne, NDLR- qui vont finalement montrer s’il y a une unité au sein du parti, et dans quel sens va-t-elle. Je prends un exemple de la profession de foi. Il est écrit qu’il est nécessaire de demander un titre particulier dans la Constitution. Or, demander un titre particulier dans la Constitution, ce n’est pas vouloir l’indépendance. C’est évident parce qu’on s’inscrit encore plus fortement dans la Constitution. Tout ça sera éclairci, à mon avis. Que ça soit du coté autonomiste ou indépendantiste, on va éclaircir les choses et peut-être même changer un peu les programmes durant ces 15 jours. »
TNTV : Où le Tavini peut-il aller chercher des voix supplémentaires ?
Sémir Al Wardi : « Tous les partis peuvent chercher des voix parce que l’abstention a quand même été assez forte. Comme je l’ai dit tout à l’heure, même si on monte de 4 ou 5 points en temps normal, il est évident que lorsqu’on est dans un contexte extrêmement particulier, et là, c’est quelque chose qui ressemble beaucoup plus à ce qui s’est passé en 2004 et 2005, on peut imaginer une augmentation du nombre de votants. Donc il y a des réserves de voix, bien entendu. »