TNTV : Comment peut-on expliquer ce choix du président du Pays de ne pas avoir fait le déplacement à l’ONU, d’avoir envoyé seul l’un de ses ministres. D’avoir tout de même fait une prise de parole publique et cela au moment même où se tenait la 4e commission de l’ONU ?
Sémir Al Wardi, politologue : « D’abord parce que c’est un rituel. Le président Fritch s’est déjà présenté 4 fois devant l’ONU et c’est toujours le même rituel : les pétitionnaires vont commencer à discuter les uns après les autres, présenter les différents changements, après la commission va rédiger un rapport et sortir ce rapport au mois de décembre. Et puis on recommence l’année d’après. Et je rappelle que la France est dans ce cas là mais le Royaume Uni aussi, les Etats-Unis aussi. La difficulté qu’il y a ici c’est que les indépendantistes peuvent se faire entendre mais comme on est dans le cadre de l’ONU, nous avons à faire à un Etat souverain. Et parce que nous avons à faire à un Etat souverain, l’ONU ne peut pas aller beaucoup plus loin que cela évidemment. »
Il faut reconnaitre que les dernières élections législatives sont un argument de taille à l’ONU…
« Alors, oui et non. (…) Les élections législatives donnent un sens, une indication mais pas plus que ça parce qu’on ne peut pas confondre un référendum d’autodétermination et une élection législative. Et l’ONU sait très bien qu’on ne peut pas mélanger les types d’élections. Il faut comprendre aussi, parce qu’on parle d’indépendance, mais à partir du moment où vous êtes inscrits sur la liste des pays à décoloniser, cela ne signifie pas indépendance. En réalité, cela signifie trois choses : soit on est indépendants totalement souverains, soit on est dans une libre association, soit on est inclus dans un Etat. Donc ça veut dire qu’il y a ces trois possibilités. Le comité de décolonisation permet ces trois possibilités. Bien sûr le Tavini a intérêt à jouer cette demande d’une souveraineté pleine et entière. Mais la Polynésie française peut présenter son autonomie, (…) dire que l’autonomie est très poussée. Evidemment je laisse les juristes nous dire si on est réellement en libre association parce qu’on n’a pas tous les éléments. On n’a pas, par exemple, les relations internationales, ni le pouvoir législatif. Mais il y a des arguments de part et d’autres et c’est pour cela que finalement l’invitation qui est faite à l’ONU de venir se rendre sur place permet de dépasser finalement les discours des différents pétitionnaires. »
La victoire des indépendantistes aux législatives a évidemment été mise en avant à l’ONU. Oscar Temaru s’est d’ailleurs déplacé en force cette année -19 militants indépendantistes à ses côtés-. Les pétitionnaires ont réclamé un programme de travail sur la Polynésie afin d’entamer le processus de décolonisation. Pourquoi autant d’attente 9 ans presque après la réinscription sur la liste des pays à décoloniser et qu’est-ce que, concrètement, le lancement de ce programme permettrait à la Polynésie ?
« Mettre une échéance au point avec d’abord la visite du comité des 24 en tout cas des représentants du comité des 24 ici pour déjà voir ce qu’il en est et cela permet d’avancer sur ce dossier. Voilà l’idée. Maintenant j’ajouterai que nous sommes en campagne électorale. Il ne faut pas nier que les élections territoriales c’est pour bientôt et que donc chaque parti essaie de rentrer dans le champs médiatique. Donc la présence du président Fritch à Washington la semaine dernière est une présence qui a été relayée par les différents médias. Et surtout ça donnait cette attitude de la Polynésie française comme un pays qui se défend seul, sans la France, qui se présente devant Biden et qui rentre peut-être dans ce cadre d’Indo-Pacifique etc. Alors que normalement, les relations internationales sont entièrement de compétence de l’Etat. Mais on va dire que pour la campagne électorale c’était indispensable. Cette semaine, c’est le Tavini à son tour, qui rempli le champs médiatique avec ses différentes interventions. Donc c’est aussi pour ça que c’est parce qu’on est là dedans que le président Fritch avait intérêt à faire une allocution pour ne pas laisser ce champs médiatique aux seuls indépendantistes. Je rappelle encore une fois : nous sommes dans ces élections qui vont venir dans quelques mois. »
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Justement, ces Territoriales qui auront lieu l’année prochaine en 2023, je rappelle que nous devons aller voter pour choisir les membres qui siègeront à l’assemblée et ce sont ces derniers qui élieront le président du Pays l’année prochaine. Avec les résultats des législatives, est-ce qu’on peut voir un avant goût de ce qui pourrait intervenir aux prochaines Territoriales ?
« On a une indication sur le fait que le Tapura a été sanctionné, ça c’est une évidence. Et le vote a été véritablement un vote contre. Après, il faut mesurer quel est le poids réel des indépendantistes parce que si c’était un vote contre, eh bien on n’a pas véritablement un poids réel des indépendantistes dans ce cas là. Je ferai remarquer aussi une chose, c’est que les données changent parce que pendant la campagne des législatives, le Tavini a peu fait campagne sur l’indépendance et la souveraineté. Comme, je rappelle, en 2004 et en 2005, le Tavini, l’UPLD, a fait campagne essentiellement sur la défense de la démocratie. Et une fois qu’ils sont élus, ils vont commencer à parler d’indépendance. Et c’est pour ça que je rappelle qu’en 2005, Philip Schyle et Nicole Bouteau avaient démissionnés. Là je me demande quelle sera la réaction en Polynésie, parce que comme ils parlent véritablement d’indépendance, le vote aux Territoriales se fera en toute connaissance de cause. »