Tahiti Nui télévision : Un nouveau Premier ministre nommé M. Bayrou, un nouveau ministre également des Outre-mer, Manuel Valls. La Ve République n’est-elle pas arrivée à bout de souffle ?
Teva Rohfritsch, sénateur de la Polynésie française : « En tout cas, force est de constater que l’instabilité est bien installée en métropole, dans l’Hexagone, puisque nous en sommes effectivement à plusieurs gouvernements dans la même année. Ce qui veut dire que nous autres parlementaires recommençons à chaque fois l’explication, le détail, la contextualisation de nos dossiers, les urgences, et Dieu sait qu’elles sont nombreuses. On parlait de la vie chère, on parle de l’habitat indigne, on parle de la création d’emplois, l’approvisionnement de la Polynésie française, qui mériterait peut-être aussi un coup de pouce, justement pour lutter contre cette vie chère. Les sujets sont nombreux et malheureusement, il n’y a pas de stabilité. Il y a trois blocs qui s’affrontent à l’Assemblée nationale depuis les dernières élections législatives. »
TNTV : Pour rebondir sur la vie chère, vous êtes rapporteur de la délégation sénatoriale des Outre-mer. Un petit mot sur ça. Le rapport n’est pas encore sorti.
Teva Rohfritsch : « Il va sortir d’ici un mois et demi à peu près. J’ai choisi de me porter rapporteur de ce dossier. La délégation m’a fait confiance pour l’ensemble des Outre-mer, mais bien sûr, je parlerai de notre fenua pour qu’on trouve des moyens nouveaux, des moyens supplémentaires, pour que l’État, dans le respect de notre statut, bien sûr, pour parler de la Polynésie, accompagne effectivement les Polynésiens dans cette lutte contre la vie chère. Parce que dans les Outre-mer, déjà structurellement, nos prix sont plus chers que dans l’Hexagone. Mais nous avons en plus, depuis la Covid, des surcoûts de transport, des difficultés d’approvisionnement en fonction des sources d’approvisionnement. Et tout ça pèse sur les consommateurs. Aujourd’hui, je crois que c’est une lutte prioritaire. En tout cas, j’espère que le rapport pourra faire des préconisations qui seront suivies par le gouvernement actuel ou le suivant. En tout cas, je souhaite longue vie au gouvernement actuel. On a besoin d’un peu de stabilité pour travailler à Paris. »
TNTV : Du côté des finances, la baisse du budget de 12 % est une baisse conséquente par rapport au budget 2024 pour les Outre-mer. Ça représente combien et comment est-ce que vous allez remédier ? Quelles sont les solutions ?
Teva Rohfritsch : « Alors, c’était de l’ordre de 30 milliards, effectivement, pour l’ensemble des Outre-mer, la baisse. Il faut dire que la France est dans une situation financière exceptionnellement difficile aujourd’hui. Mais il n’est pas question pour nous, et c’est notre leitmotiv des élus, en tout cas de vos élus polynésiens, de dire qu’il n’est pas question que ce soient les Outre-mer qui payent les pots cassés des difficultés rencontrées par la nation. Bien sûr que tout le monde participe, mais c’est énorme, 30 milliards. Plus de 300 millions d’euros étaient envisagés par l’ancien gouvernement. François-Noël Buffet, qui est le précédent ministre des Outre-mer, s’était engagé à rétablir au Parlement, donc au Sénat, puis à l’Assemblée nationale, le budget de l’année précédente, ce qui était déjà une victoire. Malheureusement, on a à nouveau changé de ministre. Manuel Valls est un ancien Premier ministre. J’ai déjà eu un premier contact téléphonique avec lui, et je vais aller à Paris dans les jours prochains pour qu’on puisse reprendre le travail, puisqu’il semblerait que M. Bayrou veut reprendre le budget tel qu’il a été arrêté. Je vous rappelle que ça s’est arrêté net au Sénat, en plein débat, puisque l’Assemblée nationale a voté la défiance, effectivement. »
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TNTV : Justement, avec M. Bayrou, comment voyez-vous l’évolution des travaux sur les dossiers concernant l’Outre-mer ?
Teva Rohfritsch : « Je pense que François Bayrou aura une écoute attentive. En tout cas, Manuel Valls m’a répondu vraiment très rapidement. On sent qu’il y a une envie de bien faire, mais encore une fois, avec les trois blocs à l’Assemblée nationale, personne n’a de majorité, vraiment. L’exécutif est assez paralysé aujourd’hui, alors que les priorités sont là, elles sont nombreuses.
En Polynésie, nous n’avons pas l’agitation qu’il y a en Nouvelle-Calédonie, nous n’avons pas vécu le cyclone de Mayotte, c’est vrai, mais nous avons aussi des urgences et des sujets sur lesquels nous attendons une intervention de l’État. »
TNTV : La FRAAP dépose un préavis de grève ce lundi dans plus de 15 services du Pays, principalement pour la revalorisation de la grille salariale des catégories D. Comprenez-vous les grévistes ou pensez-vous qu’ils exagèrent ?
Teva Rohfritsch : « Ce que je constate, en tout cas, c’est qu’il y a un climat vraiment de tension sociale depuis quelques mois dans notre fenua. Et je ne comprends pas que le gouvernement ne prenne pas davantage les mesures qui s’imposent. J’ai entendu encore récemment la ministre en charge du dossier dire « oui, mais le protocole a été signé. Mais si on l’appliquait, ce ne serait pas raisonnable ». Mais pourquoi signer des protocoles qui ne peuvent pas appliquer ? Il ne s’agit pas pour moi de dire qui a tort ou qui a raison. C’est le rôle des syndicats de demander à ce qu’il y ait une progression sociale, et en particulier des catégories D, qui sont les petites catégories de l’administration.
À l’inverse, c’est au gouvernement aussi de gouverner, de proposer des choses qui soient réalistes et faisables. Et là, on a l’impression qu’on laisse chanter cette petite musique doucement, et puis que finalement, chacun vaque à ses occupations. Mais c’est la Polynésie entière qui est paralysée derrière.
On se souvient que les transports, notamment vis-à-vis des îles, étaient bloqués. Et on ne peut pas rester comme ça. On dirait que tout file, finalement, entre les doigts du président actuel, qui semble très léger sur le sujet et peu intéressé par la cause des Polynésiens.
Alors, on est en début d’année. Je souhaite une bonne année à tout le monde, y compris au président Brotherson. Mais je crois qu’il faut vraiment se mettre au travail, peut-être d’une manière un peu plus forte et plus assidue, parce que les Polynésiennes ne peuvent pas se permettre d’avoir des grèves en permanence.
Le tourisme est l’activité qui nous sauve en ce moment, dans une situation économique mondiale difficile. Mais si on continue à bloquer les avions, si on continue à rendre difficiles les allées et venues des Polynésiens d’abord, puis des touristes, on va aussi fracasser notre seul secteur qui marche aujourd’hui. »
TNTV : Le haut-commissaire Eric Spitz demande l’annulation de la délibération d’Antony Giros, qui autorise le président de l’Assemblée à assigner la France en justice sur la décolonisation. Quel est votre point de vue sur cette question ?
Teva Rohfritsch : « D’abord, il a raison, puisque l’Assemblée de Polynésie française, en tout cas la majorité, ne respecte pas le statut de la Polynésie française. C’est quand même le rôle des institutions de respecter le statut dans le cadre duquel elles exercent leurs fonctions. Ensuite, je rappelle tout de même qu’aux dernières élections territoriales, le Tavini Huiraatira, avec Moetai Brotherson en tête, s’étaient engagés à ne pas faire de l’indépendance et de la décolonisation le sujet majeur de ce mandat.
Ils sont aujourd’hui en train de trahir les électeurs, parce qu’ils ne souhaitent même pas faire de référendum et estiment qu’ils ont tous les pouvoirs depuis cette élection. Or, ils n’ont pas fait campagne pour cette décolonisation et cette indépendance. Ils s’étaient engagés au respect, à la construction, au développement, à la solidarité.
On voit que ces mots restent vains aujourd’hui. J’en suis vraiment attristé, parce que vous avez vu le cyclone qui a aujourd’hui détruit Mayotte. Vous avez vu les émeutes en Nouvelle-Calédonie.
Est-ce que c’est ça le modèle que l’on souhaite suivre ? Non, la majorité des Polynésiens a souhaité une alternance, c’est vrai. Mais pas pour faire ça, pas pour faire de l’indépendance, le premier sujet de l’Assemblée de Polynésie française. »
TNTV : L’opposition a tenu une conférence de presse pour montrer son désaccord. Elle a aussi vivement critiqué le budget qu’elle trouve injuste et inefficace. C’est aussi votre sentiment ?
Teva Rohfritsch : « Les caisses sont pleines aujourd’hui. Faute de dépense, faute d’investissement. Je crois qu’il n’était pas temps de lever de nouveaux impôts, de nouvelles taxes. Là aussi, le gouvernement a trompé les électeurs, j’ai envie de vous dire. Malheureusement.
Quelle déception il doit y avoir, parce qu’une grande majorité de la population a voulu du changement. Le changement est toujours salutaire quand il permet d’aller mieux. Et aujourd’hui, je pense que beaucoup regrettent ce choix parce que, malheureusement, les promesses ne sont pas tenues. Et on constate que non seulement les caisses sont pleines, mais qu’on dirait que le gouvernement est en train de thésauriser, de garder ce trésor pour je ne sais quoi. Et qu’on continue de lever des taxes alors que le coût de la vie est l’un des fléaux qui pèsent le plus sur les ménages polynésiens aujourd’hui. Donc ce budget sort de nulle part. Et malheureusement, on a encore quelques années à subir cette majorité qui, pour moi, ne respecte pas ses engagements pris devant les électeurs. »
TNTV : Un petit point sur les communes polynésiennes qui bénéficient d’un report de 10 ans qui peine à répondre aux obligations liées à l’eau, à l’assainissement, à la gestion des déchets. Seules les grandes communes sont à jour. Et un nouveau délai de 10 ans pourrait être accordé. Les sénateurs, dont vous et Lana Tetuanui, défendraient ce projet. Êtes-vous confiants ?
Teva Rohfritsch : « Je pense que c’est une nécessité. On a déjà opéré des petits reports. Depuis 2014, le CGCT s’applique en Polynésie. Mais les moyens n’ont pas été transférés aux communes. Les moyens techniques, les moyens financiers. Les quelques grandes communes de Tahiti y arrivent. Mais pas toutes encore. Parce que ce sont des investissements énormes. Le maire de Mahina chiffrait une station d’épuration pour l’assainissement de ses eaux à 3 milliards. Il estimait que le coût qui devait être répercuté sur les foyers serait de plus de 100 000 Fcfp par an, 150 000 Fcfp par an. C’est énorme pour les foyers polynésiens. Donc il y a de l’ingénierie financière à concevoir. Il y a de la subvention. Il faut que l’Etat, qui a la tutelle des communes, vienne participer plus activement. Pas que par des prêts, par de la subvention.
Il faut un vrai plan Marshall sur l’eau, l’assainissement et le traitement des ordures en Polynésie. Et puis le Pays doit aussi tenir sa promesse. Le président Brotherson, dès qu’il a été élu, a dit « Je vais aider les maires. Je propose de récupérer le traitement des ordures ménagères, pas la colecte qui reste aux communesé. Eh bien, il faut le faire. Parce que c’est vrai que c’est un coût énorme et qu’il y a un besoin d’accompagnement. Alors plutôt que de faire des reports de 2 ou 3 ans, avec Lana Tetuanui, nous souhaitons que le Parlement vote un report de 10 ans. Mais pas pour reporter et ne pas s’en occuper. Pour que tout le monde se mette autour de la table et qu’il y ait un vrai plan lisible et opposable à tous. Qu’il soit mis à la connaissance de tous les Polynésiens. Pour qu’on sache dans chaque commune quand est-ce qu’on aura de l’eau potable, un traitement digne de nos eaux usées. Et un traitement des ordures ménagères. En tout cas, c’est la part que les sénateurs peuvent apporter aux côtés de nos tavana. »
TNTV : On vous entend peu en ce moment. Où vous situez-vous aujourd’hui sur le plan politique par rapport à l’opposition ? Vous partagez l’idée d’une plateforme commune ?
Teva Rohfritsch : « Alors, on m’entend peu parce que je suis beaucoup à Paris. J’essaie d’honorer un maximum le mandat. Cette confiance qui m’a été donnée en tant que sénateur. Et je pense que c’est là-bas qu’il faut que je travaille beaucoup. Je reviens régulièrement bien entendu. Et je rencontre Édouard Fritch notamment régulièrement, avec qui je pense qu’il faut continuer de construire cette plateforme.
Mais au-delà de cela, nous avons la volonté tous de continuer de construire ensemble. Alors concrètement, comment ça va se matérialiser pour que les Polynésiens puissent faire des choix au moment venu ? On n’est pas encore abouti. On doit se revoir d’ici la fin du mois.
Si les hommes le souhaitent, les hommes et les femmes qui dirigent nos partis le souhaitent, nous y arriverons. Je crois qu’aux dernières élections législatives, les électeurs polynésiens ont dit « Rassemblez-vous. On souhaite refaire un pas vers vous, mais il faut que vous soyez unis ». Et moi je garde ça en tête et dans le cœur jusqu’au bout. »
TNTV : Où en est ce rassemblement ?
Teva Rohfritsch : « Alors encore une fois, je pense qu’on va se voir. Les présidents des différents partis devraient se voir d’ici la fin du mois. Je repars à Paris la semaine prochaine mais je reviendrai ensuite. Et je reviens s’il le faut pour cette réunion. Et nous construirons un calendrier tous ensemble pour d’abord proposer un projet nouveau. Je crois qu’au-delà de l’alternance politique qui a été souhaitée, il y a eu peut-être un peu d’usure aussi auparavant. Mais les Polynésiens ont besoin aussi de projets et de se projeter sur l’avenir au-delà du sujet indépendance, autonomie. Au-delà de ce sujet-là. Ce qui compte c’est de réunir une communauté de développement de notre pays.
Moi je pensais vraiment que nos amis indépendantistes, en accédant au pouvoir, allaient faire du développement leur priorité. Parce que c’est en se développant qu’on a les moyens nécessaires pour assumer une indépendance. Et ce n’est pas ce que l’on constate aujourd’hui malheureusement. Les priorités sont ailleurs, à Genève ou à New York. Et moi je pense que cette plateforme que nous voulons constituer doit être celle du développement de notre fenua. De continuer ce qui a été fait, de corriger les erreurs passées. Et effectivement se consacrer d’abord aux Polynésiennes et aux Polynésiens. Créer de l’emploi, partager mieux la richesse. Créer des infrastructures pour permettre le développement économique. Lutter contre l’habitat indigne. Et lutter contre cette vie chère qui est un poison pour nos familles. »
TNTV : Une dernière question : serez-vous candidat au prochain sénatorial ?
Teva Rohfritsch : « Nous verrons. Nous en discuterons avec les maires. Je suis passionné par mes fonctions de sénateur. Je pense que je peux servir aussi ici. Nous verrons ça tous ensemble. Ce qui est important surtout c’est comment est-ce que chacun peut contribuer à cet édifice dont je viens de vous parler, qui est celui des Polynésiens avant tout. »