TNTV : 600 000 touristes, c’est un peu trop ambitieux selon certains professionnels du secteur… N’êtes-vous pas allé un peu trop vite en annonçant un tel chiffre ?
Moetai Brotherson, président du Pays : « Évidemment, en imaginant 600 000 touristes en 2024, on est dans l’utopie la plus totale. En réalité, l’objectif de 600 000 touristes est envisagé sur une période de 10 à 15 ans, ce qui le rend tout à fait réalisable. Aujourd’hui, la stratégie du précédent gouvernement, c’était d’arriver peu ou prou à 300 000 touristes.
Aujourd’hui, 72% des touristes sont orientés vers Bora Bora. Un rapide calcul : 72% de 600 000 touristes, ça représente 432 000 touristes. On ne pourra jamais envoyer tout ce monde sur Bora Bora. Notre stratégie consiste à mieux répartir le tourisme sur l’ensemble des archipels de la Polynésie. Nous avons donc ce grand projet structurant qui est l’aéroport des Marquises, dont le Président de la République est tout à fait favorable. »
TNTV : Mais où va-t-on loger tous ces touristes ?
Moetai Brotherson : « Il faut pouvoir programmer tout cela. Nous avons eu une augmentation d’environ 40% du transport aérien, avec une hausse de fréquences des vols. Actuellement, on a des difficultés, les hôteliers vous le confirmeront, tous les hôtels sont pleins, les pensions sont pleines. Et parfois pour les agences de voyages, c’est un peu Tetris. »
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TNTV : Alors comment peut-on résoudre ce problème d’hébergement ?
Moetai Brotherson : « Il faut plus d’hébergement, mais là encore, il faut bien déterminer ce que l’on veut. Pour notre part, nous voulons favoriser la petite et moyenne hôtellerie, parce qu’elle favorise les circuits courts. Il s’agit de faire en sorte que les 100 dollars dépensés par le touriste atterrissent dans la poche du Polynésien. »
TNTV : Dans votre programme de campagne, il était question de mettre l’environnement au cœur des priorités. Comment faire du tourisme de masse tout en protégeant l’environnement ?
Moetai Brotherson : « 600 000 touristes, ce n’est pas du tourisme de masse. Dix millions de touristes à Hawaii, ça, c’est du tourisme de masse. On a interrogé les spécialistes du tourisme dans le monde, ils vous diront que cela fait un ratio de 2 touristes par habitant. Tant que c’est bien distribué sur l’ensemble de nos archipels, c’est tout à fait supportable. »
TNTV : Lors de votre déplacement à Paris, vous avez rencontré le secrétaire d’État de la mer, Hervé Berville. Cette rencontre vous a permis de réaffirmer votre opposition sur l’exploitation des fonds marins. Là-dessus, l’État vous rejoint ?
Moetai Brotherson : « Pour l’instant, M. Berville a réaffirmé la position qui a été elle-même définie par le Président Macron récemment. Qui est celle d’être pour l’exploration à des fins scientifiques, mais pas pour l’exploitation de ces fonds marins. »
TNTV : Vous avez également évoqué la mise en place de formations au fenua dans les métiers de la mer. Peut-on avoir plus de précisions ?
Moetai Brotherson : « Dans notre programme, il est inscrit noir sur blanc, qu’on veut mettre en place un campus des métiers de la mer. »
« Il faut arrêter de tout centraliser à Tahiti. Un campus, c’est une unité logique, mais qui peut avoir plusieurs sites. Ensuite, il y a une répartition des compétences ».
TNTV : Ce campus de la mer, sera-t-il basé à Tahiti ?
Moetai Brotherson : « Il faut arrêter de tout centraliser à Tahiti. Un campus, c’est une unité logique, mais qui peut avoir plusieurs sites. Ensuite, il y a une répartition des compétences. Jusqu’au Bac, nous avons la compétence et à partir de l’université, c’est l’État. C’était le sens même de ma discussion avec M. Berville puisqu’il faut à un moment donné que l’on coordonne l’ensemble de la filière du collège/lycée jusqu’à l’enseignement supérieur. Nous avons une université dans laquelle, c’est un peu paradoxal pour un pays essentiellement océanique, il n’y a pas de filière halieute. »
TNTV : Avec Emmanuel Macron, vous avez également évoqué la mise en place d’une « citoyenneté polynésienne ». C’était dans votre programme de campagne. Avez-vous commencé à définir les contours de cette mesure ?
Moetai Brotherson : « Ce projet, c’est le même que celui que l’on a évoqué déjà pendant les législatives, que l’on a réévoqué pendant les Territoriales. Ce sont des discussions qu’il faut avoir avec tout le monde, ce n’est pas un projet qui appartient au Tavini huiraatira, c’est un projet sur lequel l’ensemble des forces politiques doivent être consultées et doivent pouvoir s’exprimer. Il y a des critères qu’il faut définir et c’est ensuite le vecteur légistique qui est déjà identifié. Nous ne sommes pas les seuls à décider, il faut une discussion collégiale là-dessus sinon ça s’appelle une dictature. »
TNTV : Quelle est la position du Président là-dessus ?
Moetai Brotherson : « Le Président de la République s’est montré ouvert à ces idées. Il y a deux lignes, d’une part la fenêtre de révision constitutionnelle qui doit s’ouvrir pour la Nouvelle-Calédonie dans laquelle les Outre-Mer vont tous vouloir s’engouffrer. Nous, nous avons deux points sur cette fenêtre de révision constitutionnelle. Le premier, c’est la citoyenneté et le second point, c’est l’élargissement des compétences en matière de relations internationales. Nous voulons pouvoir intervenir directement dans le bassin régional qui est le nôtre, à savoir le bassin Pacifique. Puis, nous avons ce qui se passe aux Nations Unies avec le retour de l’État à la table des discussions. »
TNTV : On a vu la déléguée aux Affaires Internationales et Européennes, Mareva Lechat, pointer du doigt le « silence » de l’État à l’ONU, devant le comité des 24. Vous disiez pourtant avoir eu des discussions constructives avec Emmanuel Macron. Pourquoi cette intervention aujourd’hui ?
Moetai Brotherson : « Cette intervention est factuelle, elle retrace tout simplement l’historique de ce qu’il s’est passé depuis 2013, depuis la réinscription de la Polynésie aux Nations Unies. Rappelons que Mareva était déjà à la DAIEP (Délégation aux affaires internationales, européennes et du Pacifique, NDLR) sous le gouvernement précédent. Cela n’a rien à voir avec ses convictions, elle a des compétences, c’est pour cela qu’elle est à ce poste.
J’ai discuté avec le Président qui n’était pas réellement au courant de cette dualité de traitement entre d’un côté la Nouvelle-Calédonie, où l’État et les Nations Unies coopèrent sur le processus. Et de l’autre, la Polynésie, où on constate jusqu’à présent cette forme de déni. Il m’a donc assuré qu’il réviserait la position de l’État. »
« Au lieu des 21 milliards d’excédants qui étaient prévus, on est plus proche des 10 milliards »
TNTV : La suppression de la TVA sociale faisait également partie de votre programme. Vous avez finalement choisi de la baisser progressivement. Maintenant que vous êtes au pouvoir, quand prévoyez-vous de le faire ?
Moetai Brotherson : « Nous avions annoncé que la suppression sera progressive, qu’on passerait d’abord par une diminution du taux à 0,5% et qu’ensuite, on irait vers l’extinction. Toutefois, il y a un principe de réalité que l’on découvre en arrivant, c’est que juste avant les élections il y a eu une augmentation de tous les minimas sociaux, il y a eu des cadeaux, les arrosoirs se sont ouverts très généreusement et qu’au lieu des 21 milliards d’excédants qui étaient prévus, on est plus proche des 10 milliards. Il faut composer avec ce principe de réalité. Ce que l’on a dit, on le fera, mais il faut donner du temps au temps, et on ne peut pas prendre des décisions irréfléchies et précipitées. »
TNTV : La CPS n’a toujours pas de directeur, nous avons eu écho de la mise en place d’une commission pour sa nomination, est-ce que vous le confirmez ?
Moetai Brotherson : « Sur un poste aussi important que celui de directeur ou directrice de la CPS, on ne peut faire une nomination comme ça sur un point de table. Il faut bien évidemment un appel à candidature où il faudra examiner l’ensemble des candidatures qui vont se manifester dont certaines ce sont déjà exprimer. À ce jour, j’ai reçu 5 candidatures. Et je suppose qu’il y en aura d’autres. »
TNTV : Cela fait un mois que vous êtes à la tête du Pays Moetai Brotherson. Certains élus évoquent déjà des lenteurs à démarrer les actions du gouvernement, des lenteurs dans les procédures à l’Assemblée. Que leur répondez-vous ? Quel bilan faites-vous de ce début de mandature ?
Moetai Brotherson : « Nous nous sommes donnés 100 jours pour faire un premier bilan. Vous savez, il y a un temps d’installation des ministères, il y a des équipes à former, ce n’est pas si simple.
D’ailleurs, nous avons des objectifs de réduction de dépenses qui rendent la composition des cabinets un peu plus sportive, on va dire ça comme ça. Mais je n’ai aucune inquiétude sur le fait que le bilan des 100 jours sera très positif. »