Il n’a que 28 ans, mais le CV de Christopher Angia laisse penser qu’il a déjà vécu plusieurs vies : celle de bachelier à Tahiti, de réceptionniste au Brando, de jeune étudiant à Papara puis à Toulouse, de conseiller clientèle en banque à Lisbonne, ou de responsable d’exploitation logistique au sein du groupe Ariane, fleuron européen du développement de lanceurs (entendez, de fusées). Au terme d’un process de recrutement ultra-sélectif, c’est bien ce Polynésien originaire de Rapa qui a été sélectionné en janvier 2024 pour travailler sur le programme Ariane 6, parmi plus d’une centaine de candidats.
Tout sauf un hasard pour ce jeune homme « hyperactif » , selon ses sœurs. Cadet d’une fratrie de cinq enfants, c’est principalement avec elles qu’il grandit, dans un milieu modeste, à Rapa puis à Tahiti. « Pas un bon élève » jusqu’au bac, sa prof Claire Le Gall l’incite à s’inscrire au BTS Transport et Prestations Logistiques du lycée Tuianu Le Gayic de Papara. Il y trouve sa voie, bien qu’il ne connaisse « rien du tout » du domaine, au départ.
« J’étais déterminé, j’aimais bien planifier des choses comme des événements, se souvient-il. Je savais ce que je voulais vivre et ce que je voulais découvrir » . Notamment la métropole. Passé par Bolloré Logistics à Fare Ute, puis par le Brando pour mettre de l’argent de côté, il se lance dans le grand bain et se décide à poursuivre ses études à l’école de génie civil de Promotrans, à Toulouse, où il monte en compétence. Toujours avec une vision long-termiste. « C’était un rêve d’enfant que de travailler dans l’aéronautique et le spatial. J’ai longtemps voulu être astronaute, confie-t-il. J’ai souhaité m’approcher de ce rêve petit à petit, et je me suis spécialisé progressivement dans le transport logistique (…) J’étais dans le bassin toulousain, capitale de l’aéronautique et du spatial en Europe, je me suis dit que j’étais au bon moment, au bon endroit, et j’ai tenté ma chance » .
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Cours du soir et sacrifices
Pour mettre toutes les chances de son côté, Christopher travaille énormément au cours de ses années toulousaines. Après son alternance chez Limatech et un crochet vers Voiron, il retourne dans la ville rose, recruté comme coordinateur du transport aéro par Geodis, grand groupe de logistique et distribution. Parallèlement à son emploi, il suit des cours du soir pour valider un master de management en stratégie et développement international, en formation continue. « Il n’y avait pas de concerts, pas de sorties et c’était l’école, sourit-il. J’avais mes amis qui m’accompagnaient, qui ont compris mon besoin et donc qui m’ont accompagné dans cette évolution et je les remercie aussi. C’est grâce à eux que j’ai pu joindre les deux bouts » . Grâce à sa famille, aussi, qui ne le lâche pas, même à distance. « J’ai beaucoup de fois voulu arrêter, voulu m’absenter. Ils ont toujours été là pour me rebooster » , reconnaît-il.
Quand Christopher est recruté parmi plus d’une centaine de candidats pour devenir responsable d’exploitation logistique chez le géant Arianegroup, personne n’est réellement surpris parmi ses proches. L’ampleur de sa tâche a de quoi impressionner. « Je m’occupe de cadencer les besoins en logistique, notamment en approvisionnement de matières premières dangereuses ou non dangereuses, et ensuite de les transformer pour pouvoir les mettre à disposition de la production, avant de les stocker dans nos différents entrepôts déstockés » , explique-t-il tout naturellement.
Le Polynésien arrive à un moment historique pour le groupe. Après quatre années de retard, sa fusée européenne Ariane 6, qui a rencontré de nombreux obstacles depuis le lancement du projet, en 2014, devrait, comme annoncé en décembre 2023, faire son premier vol entre la mi-juin et le 31 juillet. Le président exécutif d’ArianeGroup Martin Sion l’a de nouveau confirmé le mois dernier. Christopher pourrait bien assister à cette grande première depuis le site de lancement, au centre spatial guyanais de Kourou.
À la tête d’une équipe de six personnes, il fait ses preuves chez Ariane, qui le lui rend bien : à peine sa période d’essai terminée, il est autorisé à prendre une semaine de vacances à Tahiti. « Quand on est dans un environnement sévère, on a besoin de se ressourcer, souffle-t-il. J’ai le besoin de revenir au fenua pour prendre des forces avant de retourner en pleine industrialisation » . « Se reposer » revêt une définition particulière chez Christopher. Soutien de l’Aide aux étudiants polynésiens s’installant en France, il n’a pas hésité à se déplacer sur l’île pour raconter son parcours et encourager les lycéens à tenter leur chance en métropole. « Ça leur donne une autre vision de ce qui est possible de faire et de ce qui attend les jeunes à l’étranger s’ils veulent tenter l’aventure ailleurs » , insiste-t-il.
Christopher a déjà planifié la suite : « J’ai décidé de rester en métropole pour les dix prochaines années, donc pour suivre le programme RN6, pour terminer le ramp-up (décollage) et arriver au stade de maturité » . Habitué à l’approvisionnement de produits dangereux dans le cadre de son métier, il s’intéresse aussi à l’activité Défense du groupe Ariane, qui fabrique notamment les missiles à têtes nucléaires M51. Une perspective d’évolution de plus pour cet infatigable bosseur.