Au-delà des décideurs et des grands acteurs, comment le nucléaire a-t-il été vécu de l’intérieur ? Par la population ? Dans la continuité de la convention signée en 2018 entre le Pays et la Maison des sciences de l’homme et du Pacifique, le travail mené par une équipe de chercheurs pluridisciplinaire et dirigé par les historiens Renaud Meltz et Alexis Vrignon, entend justement y répondre.
« Ce qu’il nous manque aujourd’hui, c’est quel impact ça a eu sur la vie des gens » souligne la déléguée au suivi des conséquences des essais nucléaires pour la Polynésie, Yolande Vernaudon. « Ça concerne vraiment tout le monde, il y a eu un bouleversement extrêmement important de la société polynésienne tout entière, et ce qu’on essaye de faire c’est d’apporter un maximum d’informations aux gens pour qu’ils puissent recouper avec leur propre histoire et se faire leur propre idée de ce qu’il s’est passé ».
Renaud Meltz, historien et co-organisateur du colloque « Histoire et mémoires du CEP » à l’UPF, invité du journal :
Le Pays estime ainsi que 75% de la population a au moins un ascendant, ou un parent qui a travaillé sur les sites. Si le rapport des chercheurs s’intéresse à l’histoire contemporaine détaillée du CEP, il y consacre également un volet mémoriel à la demande du Pays. Il s’agit de recueillir le récit d’un maximum de témoins cette époque. C’est d’ailleurs l’objet de la thèse menée par la doctorante en histoire, Clémence Maillochon (retrouvez son interview ICI). Son travail consiste à documenter les différents types de militants qui se sont intéressés au nucléaire. Il s’agit plus précisément de documenter une partie de l’histoire à travers le prisme des militants. « Il y a tout un savoir militant qui a eu du mal à se transmettre, depuis le début des essais il y a eu des mouvements d’oppositions qui ont fluctué à certaines périodes, de nombreuses personnalités se sont opposées », développe la doctorante. « Avant le premier essai en 1966 on a déjà des mouvements militants très actifs sur le territoire et qui essayent de se mettre en relation avec d’autres mouvements en Nouvelle-Zélande, avec des militants kanaks ou des militants antimilitarisme qui sont plutôt basé à Lyon d’où est issus Bruno Barillo d’ailleurs. » Une centaine de personnes ont ainsi déjà été auditionnées par la jeune femme, qui interviendra mercredi au colloque.
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Financé par le Pays à hauteur de 23 millions, cette synthèse devrait également servir de base pour alimenter le futur centre de mémoire. « Oui mais pas seulement, on espère vraiment accélérer une dynamique », précise Yolande Vernaudon. « Il y a déjà des travaux qui ont été menés avec des interviews de témoins de cette époque, il ne s’agit pas d’effacer ce qui a été fait avant. On espère que les étudiants se saisissent du sujet ».
« Ce n’est pas la vérité révélée. On n’a pas ramené la bible »
Eric Conte, directeur de la Maison des sciences de l’Homme du Pacifique
Pas question d’occulter tout le travail mené avant. Mais d’apporter des données supplémentaires et un autre regard. Si le livre « Des bombes en Polynésie » né du rapport se présente comme la « première grande synthèse sur l’histoire de la bombe nucléaire française », l’ouvrage est surtout le premier à bénéficier de l’ouverture récente de nouvelles archives. « Ce n’est pas pour dénigrer ce qui s’est fait avant bien sûr, assure Eric Conte, directeur de la Maison des sciences de l’Homme du Pacifique. Toutes les contributions sont valables. Bien sûr que tout le monde a sa place. Il ne s’agit pas d’un récit unique. Il s’agira de prendre en compte un travail qui a été fait avant même par Bruno Barrillot, par des gens comme ça qui ont apporté des éléments, des témoignages et tout. Donc ce n’est pas la vérité révélée. On n’a pas ramené la nouvelle bible. On a apporté une pierre à la construction d’une réflexion qui a l’avantage par rapport peut-être à d’autres antérieures, et c’est aussi ça qui fait l’intérêt, d’être pluridisciplinaire. »
Le travail ne s’arrête pas là. Le ministère des Armées a aussi accepté de financer un poste de doctorant chargé d’éplucher pendant trois ans ces archives. Peut-être de quoi faire quelques découvertes.