Ce débat de près de deux heures a réuni divers parlementaires, une avocate, la vice-présidente de l’association 193, Lena Normand, ainsi que l’enseignant/chercheur Sébastien Philippe. Lors de sa prise de parole, celui-ci a expliqué que la méthodologie employée par le Civen, le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, pour décider ou pas d’accorder un dédommagement, était erronée.
« Le Civen utilise des estimations des doses efficaces produites par le Commissariat à l’Énergie Atomique pour évaluer les doses potentiellement reçues par les personnes résidant en Polynésie française (…) Les documents d’archives sur lesquels se basent les calculs de doses sont encore classifiés (…) Le Civen rend donc des décisions basées sur des estimations qui n’ont malheureusement jamais pu être validées, ou vérifiées, dans leur totalité », a-t-il dit.
Le co-auteur de l’ouvrage « Toxique » a expliqué avoir étudié des documents déclassifiés en 2013 relatifs notamment à l’essai aérien Centaure en 1974 qui a « directement impacté l’île de Tahiti ». « Certaines erreurs ou omissions dans les valeurs sources retenues par le CEA (…) ont eu pour conséquence de sous-estimer les doses potentiellement reçues par les résidents de Polynésie française. Mes travaux montrent que les doses efficaces annuelles (…) ont pu atteindre 2,5 fois les valeurs estimées par le CEA. Par conséquent, toute personne résidant sur l’île de Tahiti, ainsi que Moorea, ou dans les îles Sous-le-Vent en 1974, put recevoir une dose efficace supérieure au seuil d’indemnisation d’un millisievert. Cela représente 110 000 personnes, soit 90 % de la population de la Polynésie française à l’époque. C’est 10 fois plus que ce que l’étude du CEA, en 2006, suggère », a-t-il déclaré.
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Selon lui, « toute personne, aujourd’hui, qui aurait un cancer sur la liste des cancers qui sont reconnus devrait pouvoir bénéficier d’une indemnisation s’il a été résident en Polynésie française pendant la période des essais atmosphériques ». « Le seuil d’un millisievert (…) doit être repensé, notamment pour certaines périodes d’exposition forte du public, au moins de 1966 à 1974 », a-t-il ajouté.
Interrogé dans la foulée par Tematai Le Gayic sur le fait de savoir si l’État « était au courant des conséquences des essais nucléaires » à cette période, le scientifique a répondu par l’affirmative. « Il est clair, absolument, que l’État français était au courant (…). Dès le premier essai de 1966, une communauté qui vit aux Gambier (…) va être exposée à des retombées radioactives sans que la population soit mise au courant (…). Tous les sols sont contaminés, les sources d’eau potable sont contaminées, les aliments sont contaminés. Et il y a ce rapport (…) signé par un médecin militaire qui dit qu’il va falloir minimiser les chiffres pour ne pas perdre la confiance de la population (…). A Tureia, des familles vont boire de l’eau de pluie contaminée aux éléments radioactifs pendant des semaines alors que les services de contrôle de l’État mesurent en même temps la contamination de ces sources d’eau potable (…). Donc, oui, l’État français savait avant et savait pendant », a affirmé Sébastien Philippe.
Le chercheur a également été questionné sur les conséquences d’un effondrement du plancher de l’atoll de Moruroa, théâtre, également, d’essais nucléaires sous-marins. « Dans le pire des cas, il pourrait y avoir une vague de plusieurs mètres, ce qui est suffisant pour inonder » l’atoll de Tureia qui se trouverait sur sa route. « Aujourd’hui, il y a un système de contrôle qui semble être solide scientifiquement et qui montre des déplacements très faibles (…) Mais le risque sismique, on ne peut pas le prédire », a-t-il encore souligné.
Mereana Reid Arbelot a, elle, fait un point sur la situation de la Caisse de Prévoyance Sociale qui « supporte seule les frais médicaux ». « 12 500 personnes ont été touchées par un ou plusieurs de ces maladies – qui figurent sur la liste de cancers radio-induits, Ndlr-. Le coût des soins pour ces 12 500 victimes est estimé à 838 millions d’euros -environ 100 milliards de francs, Ndlr- et il continue d’augmenter pour un coût moyen de 67 000 euros par victime -environ 8 millions de francs, Ndlr-. Le Civen a reconnu 400 victimes sur 12 500 et l’Etat propose de rembourser la CPS de 400 fois 67 000 euros », a-t-elle regretté.
La nouvelle ministre de la Santé, Catherine Vautrin, lui a assuré que « l’enjeu des conséquences des 193 essais nucléaires » serait sur « le haut de la pile » de ses dossiers. Elle a aussi « réaffirmé l’attention que porte (…) l’ensemble du gouvernement à la juste indemnisation des citoyens touchés directement ou indirectement par ces essais ». « Le poids financier de l’indemnisation des victimes (…) ne doit pas être supporté par les caisses locales polynésiennes. C’est pourquoi je tenais d’emblée à vous rassurer sur l’avancée des travaux permettant de rendre cette mesure opérationnelle. Le principe est aujourd’hui acté », a-t-elle dit, sans davantage d’annonces concrètes.
Le lien du débat sur le site de l’Assemblée Nationale est ici.