Cultiver son jardin pour apporter sa pierre à l’édifice

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Rien ne prédestinait Tamatoa Chaze à trouver sa voie dans l’agriculture. Et pourtant. Le jeune homme de 33 ans est aujourd’hui à la tête d’une société de transformation de fruits 100% locaux. Un projet sur lequel lui et son père ont parié il y a maintenant 4 ans. À force d’efforts et de persévérance, l’entreprise située à Nuku Hiva fait aujourd’hui vivre 160 agriculteurs et prône la valorisation des produits du fenua.

Publié le 01/01/2022 à 8:40 - Mise à jour le 31/12/2021 à 14:59

Rien ne prédestinait Tamatoa Chaze à trouver sa voie dans l’agriculture. Et pourtant. Le jeune homme de 33 ans est aujourd’hui à la tête d’une société de transformation de fruits 100% locaux. Un projet sur lequel lui et son père ont parié il y a maintenant 4 ans. À force d’efforts et de persévérance, l’entreprise située à Nuku Hiva fait aujourd’hui vivre 160 agriculteurs et prône la valorisation des produits du fenua.

En Polynésie, la terre est une richesse. Tamatoa Chaze l’a bien compris. Jeune entrepreneur diplômé d’un BTS en commerce international et d’un bachelor responsable marketing développement commercial, Tamatoa a touché à tous types de métiers avant de se reconvertir dans l’agro-transformation. Il est tour à tour responsable commercial dans une société de vente de chaînes de télévision, assistant import-export de matériel électrique, chef de rang dans un restaurant à Paris, mais aussi vendeur de saumon fumé et d’esturgeon à Los Angeles et assistant directeur d’un hôtel au Laos.

Une floppée de postes qui, par le fruit du hasard, amène Tamatoa à reprendre en 2017 l’entreprise de transformation de fruits de son oncle à Nuku Hiva. Un nouveau départ mais aussi un défi de taille. Avec son père, le jeune homme débute l’aventure avec peu de moyens : « j’ai repris l’activité de l’usine en fait. Mon oncle a rasé sa société du registre du commerce et il a préféré retourner à ses premiers amours, c’est-à-dire l’hôtellerie. […] J’ai repris les lieux, les machines. Après, c’était une toute petite usine à l’époque. Il leur restait 5 clients et 300 000 Fcfp de chiffre d’affaires ».

Tamatoa remporte le premier prix du concours d’innovation agro-industrielle en 2017. Un tremplin pour sa société. (crédit photo : FB CFM)

Né alors la Compagnie du fruit marquisien. Pour produire du jus de citron, des purées de fruits ou encore du lait de coco surgelés, Tamatoa utilise uniquement des produits du fenua. Ambitieux, le jeune entrepreneur voit les choses en grand. Plus question de faire de l’artisanale, il veut créer une usine plus performante et qui produit plus, tout en continuant d’exploiter le potentiel des fruits locaux. Alors toujours en 2017, il remporte le concours d’innovation agro-industrielle avec, à la clé, 5 millions de Fcfp. De quoi financer l’achat de ses premières machines industrielles. « Et là d’un coup, la différence entre ce qu’on faisait avant et aujourd’hui, c’est qu’avant, on produisait 70 kilos par heure et aujourd’hui, on produit 500 kilos par heure ».

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Pour rentabiliser sa hausse de production, Tamatoa cible les professionnels. Fini la vente aux particuliers, la Compagnie du fruit marquisien se positionne comme fournisseur auprès des restaurants, des hôtels, mais aussi des glaciers, bars et pâtisseries.

Persévérance et patience, le couple de la réussite

L’entreprise compte seulement 6 employés aujourd’hui mais fait vivre bien plus de foyers : 160 agriculteurs de Nuku Hiva au total, tous fournisseurs et partenaires de la Compagnie du fruit marquisien. La société favorise une économie circulaire qui profite à tous mais son fonctionnement a demandé du temps, de la patience et un peu de diplomatie. « On a mis du temps à trouver nos 160 agriculteurs. Au début, on en avait 30. Et puis petit à petit, je me suis baladé dans les vallées, je suis allé jusqu’au fin fond des vallées les plus reculées ». D’autant plus que Tamatoa n’est pas originaire de Nuku Hiva. « Ça a été le premier challenge. Lorsque les Marquisiens ont vu débarquer un petit Tahitien, en plus blond aux yeux bleus, ils se sont dit ‘il vient piquer notre travail’. Il y a une manière de faire aux Marquises. Très lente, certes, car pour eux, c’est sur la durée qu’ils voient s’ils peuvent avoir confiance en toi ou pas ».

« Je n’ai réussi à me dégager un salaire qu’à partir de 2021« 

Tamatoa Chaze – Président de la Compagnie du fruit marquisien

Entrepreneur grand format, Tamatoa ne s’arrête pas à une seule entreprise. A côté, il créé la Société de permaculture des Marquises pour revaloriser les sols et sécuriser une partie de l’approvisionnement de sa première compagnie. Il plante alors du ‘uru, du potiron et toutes sortes d’arbres fruitiers et de plantes sur 3 hectares, à Nuku Hiva. Un second défi qui vise aussi à obtenir la confiance de partenaires économiques divers.

Car en 2017, les banques sont sceptiques, le Pays et l’Etat aussi : « je venais de me lancer, notre projet n’était pas aussi bien ficeler qu‘aujourd’hui, on a tout appris sur le tas. […] Au départ, on n’avait pas forcément besoin d’argent, on avait besoin d’un découvert. On paye nos agriculteurs cash, mais moi, mes clients, ils me payent à la fin du mois. Il y a un temps de latence et nous, niveau trésorerie, on avait beaucoup de mal. On était tous seuls. Personne ne croyait en notre projet, ni le gouvernement, ni personne. On leur parlait de permaculture, ils ne savaient pas du tout ce que c’était. Aujourd’hui, ça commence à rentrer. C’est pour ça qu’on a lancé le fa’a’apu aussi, pour montrer que c’est génial la permaculture ».

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Après 4 longues années, tout se débloque pour la Compagnie du fruit marquisien : en 2021 la Sofidep entre dans le capital de la société et impulse une nouvelle dynamique en termes de financement et de soutien administratif. Un tournant qui permet à Tamatoa d’occuper le poste de président et salarié de l’entreprise, et d’enfin obtenir des revenus fixes. Ce qui n’a pas toujours été le cas :  « avant j’étais juste gérant, je n’avais pas de salaire. Je me virais ce qu’il restait sur le compte de l’entreprise à la fin du mois, après avoir payé les dettes. Pendant trois ans, je ne me suis quasiment rien payé par mois. C’est assez triste. Je n’ai réussi à me dégager un salaire qu’à partir de 2021 ».

Le ministre de l’Agriculture, Tearii Alpha, a fait le déplacement à Nuku Hiva pour la pose de la première pierre de la nouvelle usine de Tamatoa (crédit photo : FB CFM).

En peu de temps, la Compagnie du fruit marquisien quintuple son chiffre d’affaires. « Au départ, on faisait 300 000 Fcfp de chiffre d’affaires par mois. Ce n’était rien. A peine de quoi payer les employés de Nuku Hiva. Aujourd’hui, on fait plus de 2 millions de Fcfp. On a plus de 100 clients maintenant, alors qu’avant, on en avait 5 ».

L’entreprise reçoit même l’appui du Pays et de l’Etat, à hauteur de subventions. Un financement qui permet à Tamatoa d’envisager l’agrandissement de ses locaux. La Compagnie du fruit marquisien concentre aujourd’hui son activité dans une usine de tout juste 100m2, mais la première pierre de la prochaine, de 600m2, a déjà été posée en novembre dernier. Le ministre de l’agriculture, Tearii Alpha, avait d’ailleurs fait le déplacement pour l’inauguration. La nouvelle usine verra le jour début 2022. « Là, on aura une vraie chaîne de production. Pour l’instant, mes employés lavent les fruits à la main […], ils remplissent les machines à la main, […] on les emballe en sachet [ndlr : les produits transformés], les pèse, les scelle. Ils étiquettent à la main, c’est ce qui prend énormément de temps. Là pour la prochaine usine, […] tout sera automatisé quasiment. On va faire les choses beaucoup plus vite ». Avec ce nouveau projet, Tamatoa envisage de créer de nouveaux produits : une gamme de jus de fruits frais, là encore 100% locale.

« On veut prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain et partager équitablement. C’est le plus important ».

Tamatoa Chaze – Président de la Compagnie du fruit marquisien

Trois nouveaux emplois seront aussi créés, cette fois-ci pour faire fonctionner une troisième entreprise : l’Huilerie vierge des Marquises. Une SARL créée en partenariat avec l’Huilerie de Tahiti à la demande du gouvernement : « on va faire du lait de coco en très grande quantité, pasteurisé et vendu frais. On veut remplacer tout le lait de coco importé en boîte. On a aura des cubis de trois litres, […] conservables à peu près un mois. Et à côté de ça, on va faire de l’huile de coco vierge. […] On va produire en très grande quantité et tout ne va pas être vendu sur Tahiti. […] On ne veut pas non plus conquérir tout le marché, on veut faire beaucoup d’exports, on pense qu’il y a un gros marché dessus. On se positionnera peut-être dans le luxe, mais toujours en tant que grossiste ».

Objectif zéro déchets

Viser toujours plus loin, tel pourrait être l’adage de Tamatoa qui ne se repose jamais sur ses acquis. Si ses sociétés carburent aujourd’hui, l’entrepreneur souhaite pousser l’exploitation des fruits marquisiens à son maximum. L’objectif : valoriser l’entièreté du fruit et ainsi, ne produire aucun déchet : « quand on fait du jus de citron, quand on le presse, par rapport au poids du citron frais, le jus fait à peu près 25% du poids du citron. Il reste 75% du fruit, c’est énorme ».

« On dit que l’argent ne pousse pas sur les arbres, je commence à en douter« 

Tamatoa Chaze – Président de la Compagnie du fruit marquisien

Hors de question pour Tamatoa de jeter les restes de fruits. Le circuit est bien ficelé : certains éleveurs de cochons reprennent les peaux de mangues ou encore de papayes pour nourrir leurs animaux et une autre partie des déchets est transformée en compost pour alimenter les sols de la Société de permaculture des Marquises. Et toujours plus ambitieux, Tamatoa veut créer des huiles essentielles à partir de la peau des citrons et des pamplemousses dont il extrait le jus. « Sur le principe, on pourrait faire du poivre avec les graines de papayes. […] C’est beaucoup de recherche et de développement jusqu’à présent. On fait pleins de tests et quand on déménagera dans la grande usine, la petite usine deviendra un laboratoire prévu pour. On a un circuit fermé comme ça : on les plante [ndlr : les fruits], on les transforme et on transforme les déchets ».

L’agriculture, un secteur d’avenir

« Je suis passé de vendre de la télévision à vendre un produit 100% de chez nous et naturel surtout. On dit que l’argent ne pousse pas sur les arbres, je commence à en douter », plaisante Tamatoa. Pour lui, la filière agricole a un potentiel énorme au fenua. « En Polynésie, on a une de ces chances : tu donnes du temps et de l’amour à ton fa’a’apu et il te le rend bien ». Pour cet amoureux de la nature, il n’y a pas de plus grande fierté que de travailler la terre. D’autant que l’autonomie alimentaire est un des axes majeurs du plan de relance du Pays. « On s’est bien rendu compte pendant les confinements qu’on était assez limité de ce côté-là. Un jour, on a eu une pénurie de riz, ça a été la panique alors qu’à côté de ça, on a du manioc, du uru, du taro et des patates douces« .

« On nous a sorti par la grande porte, on est rentrés par la fenêtre. »

Tamatoa Chaze – Président de la Compagnie du fruit marquisien

À terme, Tamatoa veut créer un label Marquises pour pouvoir exporter certains de ses produits. Il souhaite aussi inciter plus de jeunes à se lancer dans l’agriculture ou l’agro-transformation, sans se laisser décourager par les obstacles de la vie : « le vrai challenge aujourd’hui pour un jeune, c’est de prouver que son idée va fonctionner. Qu’il ne se décourage pas par des refus de banques ou d’aides du gouvernement. […] Nous, on nous a sorti par la grande porte, on est rentrés par la fenêtre. On n’a pas arrêté de dire chaque année ‘on est là, on existe, on fonctionne‘ ».

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