En Polynésie, un dialogue social encore trop éloigné des réalités du terrain

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Le dialogue social au fenua peut mieux faire. Dans un rapport remis au ministère du Travail, l’Anact (l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail) pointe du doigt la "forte présence du conflit au niveau du Pays" dans un contexte économique marqué par le coût de la vie.

Publié le 17/09/2024 à 9:50 - Mise à jour le 17/09/2024 à 12:41

Le dialogue social au fenua peut mieux faire. Dans un rapport remis au ministère du Travail, l’Anact (l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail) pointe du doigt la "forte présence du conflit au niveau du Pays" dans un contexte économique marqué par le coût de la vie.


Des conventions collectives qui remontent à 1986 pour les banques et sociétés financières ou à 1975 pour le BTP, d’autres inexistantes dans certains secteurs pourtant important dans l’économie, comme la pêche ou la perliculture : selon l’état des lieux de l’Anact (l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) commandé par le Pays et présenté en conseil des ministres il y a quelques semaines, les conventions collectives en Polynésie « mériteraient sans doute d’être dépoussiérées ».

« L’interprofessionnel se limite beaucoup en Polynésie aux conventions collectives qui prévoient des discussions annuelles sur les salaires, mais qui ne prévoient pas de révision régulière de ces conventions collectives. D’ailleurs, la plupart sont très anciennes et n’ont jamais été révisées depuis très longtemps », reconnaît le président de la commission droit social et PSG au Medef, Thierry Mosser.

En Polynésie, seul un accord collectif interprofessionnel a abouti. Il a permis de créer le Fonds paritaire de gestion en 2008. Une caisse qui a déjà permis de financer la formation de plus de 59 000 salariés. « Si cet accord est la démonstration de la capacité des partenaires sociaux à discuter et négocier sans la présence du gouvernement, pourquoi est-il le seul ? » interroge le rapport. Même du côté de la CPS, l’un des rares espaces de dialogue social, cinq administrateurs sont nommés par le Pays.

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« Il y a trop de choses qui se passent au niveau politique qui se passent au niveau dit macro, mais en réalité les sujets, ils sont au niveau le plus proche du terrain, avec les salariés et les chefs d’entreprise« .

Frédéric Dock, président du fonds paritaire de gestion

« On l’a vu encore avec les conflits récents, la priorité à mon sens (…) c’est quand même que le dialogue se fasse au plus près du terrain » souligne le nouveau président du fonds paritaire de gestion et ancien président du Medef, Frédéric Dock. « Aujourd’hui, il y a trop de choses qui se passent en dehors du monde réel, il y a trop de choses qui se passent au niveau politique qui se passent au niveau dit macro, mais en réalité les sujets, ils sont au niveau le plus proche du terrain, avec les salariés et les chefs d’entreprise. C’est là qu’il y a un gros travail à faire ».

Les comités stratégiques mis en place au sein de la PSG prévoient pourtant une représentation bipartite, le gouvernement étant uniquement à l’animation. Un modèle qui pourrait inspirer d’autres espaces de dialogue social, selon le responsable du fonds paritaire de gestion.

En attendant, à défaut de négociation annuelle obligatoire (NAO) comme c’est le cas en métropole, c’est la direction du Travail en tant que « tiers facilitateur » qui invite chaque année les partenaires sociaux à la table des négociations, pour discuter en particulier des salaires. « Si les négociations aboutissent à des revalorisations salariales (…) essentielles pour le maintien du pouvoir d’achat, quid des questions d’organisation et de conditions de travail ? » soulève le rapport.

« Il y a des sujets, comme le Smig, par exemple, qui ne peut se traiter qu’au niveau territorial. Par contre, dès qu’on va toucher des conditions de travail, des sujets comme les horaires de travail, ou le télétravail, ce serait beaucoup plus sain de discuter directement entre partenaires sociaux » précise Thierry Mosser, citant l’exemple du télétravail. « En métropole, ce n’est pas le gouvernement qui s’est mêlé du sujet. Ce sont bien les partenaires sociaux qui ont passé un accord entre eux sur le télétravail qui a été ensuite étendu à l’ensemble des salariés. En Polynésie, c’est le ministère qui s’est saisi du sujet et qui a fait une loi ».

« Le problème, c’est qu’on ne discute pas pareil quand on a une négociation entre partenaires sociaux et quand le pays est présent »

Thierry Mosser, président de la commission droit social et PSG au Medef

Si certains partenaires sociaux saluent l’appui technique du Pays, d’autres pointent du doigt une position de neutralité « difficile à tenir » et un déséquilibre dans les échanges. « Le problème, c’est qu’on ne discute pas pareil quand on a une négociation entre partenaires sociaux et quand le pays est présent » résume Thierry Mosser. « Il faut savoir qu’on a un code du travail tout puissant en Polynésie. Et donc beaucoup de sujets sont l’apanage du Pays. C’est lui qui a l’initiative en général de faire des propositions de loi ou de réunir les partenaires sociaux pour discuter de tout ça. Il y a très rarement de discussions directes entre partenaires sociaux sans la présence du pays. »

Pour autant, le rapport souligne le rôle essentiel de la direction du Travail et sa contribution dans le dénouement de certains conflits. À l’instar de celui dans la sûreté aérienne en août dernier. Une grève menée par A Ti’a I Mua. « Il était évident pour moi qu’il fallait qu’il y ait une tierce personne pour rétablir un peu ce lien de confiance et remettre les négociations sur les rails » admet Avaiki Teuiau, secrétaire générale de A Tia i Miua.

Mais le rapport pointe aussi du doigt la fréquence des conflits « au niveau du Pays, des entreprises ou des établissements ». Selon A Ti I Mua, beaucoup de grèves auraient pu être évitées si le dialogue social était mieux structuré. « J’ai pris mes fonctions en tant que secrétaire générale en 2022 et j’ai mené déjà trois grèves. Mais ce n’est jamais de gaieté de cœur, c’est parce que le dialogue a été rompu tout simplement et qu’on n’avait pas d’autre levier pour se faire entendre » ajoute Avaiki Teuiau, persuadée que l’écart croissant entre les salaires et le coût de la vie ne peut qu’annoncer de nouvelles mobilisations. « Les salariés sont en demande, parce qu’ils souhaiteraient voir leur pouvoir d’achat et leurs conditions de travail s’améliorer ».

Contacté par la rédaction, le ministère du Travail n’a pas souhaité s’exprimer.

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