Eric Spitz :« Nous investissons dans les Jeux pour qu’il en reste quelque chose pour les Polynésiens ».

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Le haut-commissaire de la République en Polynésie était l’invité du journal de TNTV, ce dimanche soir. Jeux Olympiques, grève chez ADT, économie polynésienne, grands projets, Eric Spitz a été interrogé sur de nombreuses thématiques. Retour sur cette interview.

Publié le 22/07/2024 à 10:01 - Mise à jour le 22/07/2024 à 10:06

Le haut-commissaire de la République en Polynésie était l’invité du journal de TNTV, ce dimanche soir. Jeux Olympiques, grève chez ADT, économie polynésienne, grands projets, Eric Spitz a été interrogé sur de nombreuses thématiques. Retour sur cette interview.

TNTV : On vient de le voir, en partie dans le sujet précédent, d’importants moyens seront mis en œuvre pour assurer la sécurité durant les Jeux Olympique. À terre, sur l’eau et au-dessus de nos têtes, ce sont environ 250 gendarmes qui seront déployés. Au moment où l’on se parle, tout est parfaitement calé ?

Eric Spitz : « Je reviens de la Presqu’île où j’ai passé les deux derniers jours. Le pays, l’État, les Tavana, Paris 2024, sont mobilisés. Ils sont mobilisés pour que ces Jeux Olympiques soient une fête unique et extraordinaire. Je rappellerai qu’il y a des Jeux Olympiques d’été en France tous les siècles, donc peut-être que la Polynésie sera le seul Outre-mer pendant très longtemps à vivre ce moment. Et je rappellerai aussi, comme signe d’encouragement, que le parcours de la flamme a été un véritable succès populaire, avec 25 500 Polynésiens qui se sont manifestés. Tout ça, ce sont des motifs d’espoir, d’optimisme. En tout cas, au cours du premier jour d’entraînement, aujourd’hui, tout s’est bien passé ».

TNTV : Quels sont les risques que l’on peut envisager sur un tel événement, un événement mondial ?

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Eric Spitz : « Le principal risque est malheureusement un risque que l’on ne maîtrise pas, qui est le risque météorologique. Pour tous les autres, nous avons mis en place des dispositifs qui devraient nous permettre de parer à une menace qui, disons-le, on est en Polynésie, est quand même beaucoup plus faible qu’ailleurs. Tout ça, c’est la raison pour laquelle il y a des policiers dont beaucoup sont Polynésiens. La grande majorité. J’ai fait rappeler des gendarmes réservistes polynésiens, parce qu’on va surtout être confronté à des problèmes de circulation, où il va falloir dialoguer, donc je ne me fais pas spécialement de soucis. Mais je voulais aussi rappeler que si l’investissement de l’État, vous l’avez dit, 250 policiers ou gendarmes, en tout 700, pendant les jeux qui sont mobilisés, l’investissement de l’État, c’est aussi de l’investissement dans l’électricité pour la Presqu’île, dans la tour des juges, dans la passerelle.  C’est au total 1 milliard de francs que l’État a investi et que conserveront les Polynésiens. C’est ce qu’on appelle l’héritage. Donc je suis très attaché à montrer que d’une part, nous déployons nos traditionnels dispositifs de sécurité avec les drones, mais aussi la lutte cyber, qui est nouvelle, et que d’autre part, nous investissons aussi dans les Jeux pour qu’il en reste quelque chose pour les Polynésiens ».

TNTV : Est-ce que des pays étrangers, dont certains surfeurs sont à Teahupo’o, ont déployé des moyens de sécurité aux Fenua ? On a par exemple appris cette semaine qu’un agent secret américain assurait la sécurité de la délégation de son pays…

Eric Spitz : « Alors déjà, je vais vous dire, c’est un mauvais agent secret, parce que s’il était secret, vous ne l’auriez pas su. Non, il n’y a personne, aucune délégation n’est accompagnée de personnes, en tout cas armées, puisqu’il faut demander au commissaire une dérogation. On ne nous l’a pas demandé. Et puis après, il y a ce qu’ils appellent des consultants, dont moi je ne sais pas s’ils sont des agents secrets ou pas, mais en tout cas, certaines délégations sont accompagnées de consultants ou de directeurs de la sécurité. Mais il n’y a pas d’agents armés étrangers sur notre sol ».

TNTV : Les cyberattaques, vous en parliez, sont aussi prises très au sérieux par vos services. Ont-ils déjà observé un surcroît de menaces via les télécommunications ?

Eric Spitz : « Oui, il y a eu beaucoup d’attaques sur le fenua. Je ne révélerai pas le nom des entreprises. En tout cas, s’agissant des collectivités locales, tout le monde sait que Mahina a été attaquée, puisque la presse en a parlé. Moi, ce que je voudrais dire à tous les chefs d’entreprise, et encore plus à tous les tavana, c’est que lorsque vous êtes attaqués, signalez-nous tout de suite. Nous travaillons avec l’Agence nationale de sécurité informatique. Il y a des spécialistes qui très vite peuvent entrer des antivirus ou des contre-virus. Je ne suis pas un spécialiste de l’informatique. Un hacker peut vous faire perdre des centaines, voire des milliers de données, par exemple la paie des agents ».

TNTV : Un mot maintenant sur la situation d’ADT. Une partie du personnel s’inquiète de l’instabilité de la concession de l’aéroport. Une instabilité qui dure depuis plus de dix ans maintenant. Quand les choses vont-elles bouger pour un nouvel appel d’offres ?

Eric Spitz : « C’est assez compliqué. Il y a un appel d’offres qui est lancé par l’État pour un nouveau concessionnaire ou la prolongation du concessionnaire actuel sur Faa’a. J’ai rencontré les représentants du personnel d’ADT. Je leur ai apporté la garantie que dans le nouvel appel d’offres, il y aurait la reprise de l’ensemble des salariés, de tous les avantages en nature. Le Pays est maintenant propriétaire des trois autres aérodromes. Donc il va lancer un appel d’offres pour savoir qui va gérer ces trois aérodromes. Et les salariés exigent du Pays qu’il inclue dans son appel d’offres les mêmes clauses que l’État a inclus dans le sien. Donc c’est une partie des discussions. Moi, j’invite tout le monde à se mettre autour de la table, à discuter, à trouver une solution, à leur rappeler qu’il y a des conséquences indirectes sur les passagers, sur l’image de la Polynésie. Et ce n’est pas vraiment le moment de montrer une image négative de la Polynésie ».

TNTV : Il y a dix jours, vous avez fait le point sur les dépenses de l’État. En 2023, 210 milliards, dont 1 milliard pour les JO, vous l’avez dit. C’est 10 milliards de plus qu’en 2022. Comment s’explique cet écart ? Et cela va-t-il continuer d’augmenter ?

Eric Spitz : « Vous avez raison de dire qu’effectivement, les dépenses de l’État ont augmenté de 5,5 % en 2023. Après une augmentation de 5 % en 2022. Il y a environ la moitié pour le Pays, 15 % pour les communes. Et les 35 % restants, c’est l’État pour financer ses compétences. Alors, je voudrais simplement insister sur trois points, parce que je lis les réseaux sociaux, donc je vois les critiques, donc j’aime répondre aux critiques. La première, c’est : ‘oui, mais l’État, de toute façon, c’est pour payer des popaa, entre guillemets, qui travaillent ici. Non. Sur 5 500 professeurs, il y en a seulement 500 qui sont sous contrat. Je peux vous dire qu’au commissariat, il y a 85 % de Polynésiens, à l’aviation civile, etc. Donc, l’État est essentiellement représenté ici par des Polynésiens, et ce sont des Polynésiens que nous payons. La deuxième critique : ‘oui, mais tout ça, c’est pour financer du fonctionnement et pas de l’investissement’. Alors non, on finance de l’investissement dans le domaine de la santé, les internes, on co-finance le logement social, on co-finance aussi la culture, et on a créé deux fonds l’année dernière. Le fonds vert pour, par exemple, la protection des espèces protégées, et le fonds dit Macron, fonds de transition énergétique, avec qui on a financé et on continuera de financer le dossier de l’inscription des marquises au patrimoine mondial de l’UNESCO. Donc, nous avons créé ces fonds, et ce qui explique, pour répondre à votre question, l’augmentation, et qui continuera à l’expliquer dans les années qui viennent, de l’engagement de l’État en Polynésie française. Et l’engagement de l’État en Polynésie française va augmenter jusqu’en 2030, parce qu’on va recruter 230 militaires supplémentaires, parce qu’on va avoir deux nouveaux patrouilleurs, deux nouvelles frégates. Tout ça pour encore mieux protéger notre territoire, notamment contre la pêche illégale. Pour l’instant, notre protection est efficace, mais notre protection sera encore plus efficace quand nous serons en mesure de proposer à nos pays voisins qui ne peuvent pas se protéger, de protéger leurs ZEE, parce que les poissons, ils ne connaissent pas les limites migratoires. Donc, empêcher la pêche illégale chez nos voisins peut nous permettre de protéger encore mieux la Polynésie ».

TNTV : Vous parliez du fonds Macron. Une partie ce celui-ci servira-t-il au projet d’inscription des Marquises au patrimoine de l’UNESCO.

Eric Spitz : « Il y a deux choses. Il y a l’éligibilité. J’espère que le 26 juillet, à New Delhi, on va être éligibles. Enfin, on va appartenir, quand je dis nous, ce sont les Marquisiens, au patrimoine mondial de l’UNESCO. Et puis, il y a ce qui arrive après. Donc, dans les cinq ans qui suivent la labellisation, il faut travailler. Il faut mettre en œuvre un document de gestion. Il faut mettre en œuvre un certain nombre d’actions. Et c’est la raison pour laquelle l’État a versé près de 100 millions de francs à la CODIM, à la Comité de communes des îles marquises, pour qu’ils puissent recruter des personnes qualifiées pour travailler sur ces dossiers ».

TNTV : L’initiative française pour les récifs coralliens, l’IFRECOR, s’installe au fenua. Ça a été l’occasion pour vous de rappeler que les coraux sont primordiaux pour les écosystèmes et même pour l’économie du Pays, mais qu’ils sont sous pression. Comment agir pour les préserver ?

Eric Spitz : « On a lancé un concours, To’a Reef, qui s’adresse à toutes les associations, à des écoles, à des entreprises. Mais au-delà de ça, je crois que ce qui est important, c’est que la Polynésie française se mobilise toute entière pour apporter une contribution exemplaire au Sommet des océans, qui se tiendra à Nice en juin 2025. Le cœur de notre contribution, ce sera le récif corallien. Sans récif, vous ne vous nourrissez pas. Sans récif, pas de pêche. Sans récif, pas de perliculture. Sans récif, plus de protection. Ceux qui vivent à 200 mètres d’une barrière de récif savent que la houle déferlerait chez eux s’il n’y a plus de barrière corallienne. Et sans récif aussi, il n’y a plus de vie. Donc ça va être au cœur de la contribution de la Polynésie. Le cluster maritime se mobilise, les associations, les entreprises, les collectivités locales, l’État, tout le monde se mobilise pour apporter une contribution exemplaire. On parlera aussi de grands fonds marins, on parlera aussi d’énergie renouvelable, bien évidemment. Mais pour tout cela, je crois qu’on peut montrer ce dont on est capable chez nous ».

TNTV : Après les JO d’autres projets prendront-ils forme ?

Eric Spitz : « Il faut absolument éviter que l’économie polynésienne marche sur une seule jambe, comme par exemple l’économie calédonienne avec le résultat qu’on connaît. Donc on a une jambe très solide, c’est le tourisme. La deuxième jambe, vous l’avez dit, ce sera demain les océans. Tout ce qui tourne autour de la nourriture dans les océans, la pêche, la perliculture, la transition énergétique, etc. Et le troisième pilier, ça sera le numérique avec l’arrivée de Google qui permettra de nous interconnecter et de faire de nous peut-être un endroit où on déportera, avec nos 12 heures de décalage horaire, un certain nombre d’activités de l’Hexagone à la Polynésie. Aujourd’hui, quand le journal Le Monde ferme, il déporte ses activités en Californie. On peut rêver qu’un jour, il les déporte en Polynésie ».

TNTV : Dernière question. Joe Biden vient de l’annoncer, il se retire de la course à la Maison Blanche. Dans le même temps, Donald Trump est bien lancé. Doit-on s’inquiéter de l’issue de l’élection américaine en novembre pour la sécurité dans la zone pacifique et dans le monde en général ?

Eric Spitz : « Vous le savez, il n’est pas de coutume de commenter la politique intérieure d’un autre pays, encore moins lorsqu’on est préfet. La démocratie américaine est une démocratie qui a montré sa vitalité. Et il reste nos alliés dans la zone, quelle que soit l’issue des prochaines élections ».

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