« Fraudes » et « dysfonctionnements » au sein de la SEM Abattage de Tahiti, selon la CTC

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La Chambre Territoriale des Comptes a rendu, ce lundi, un rapport d’observations définitives très critique sur la gestion de la Société d’Économie Mixte (SEM) Abattage de Tahiti pour les exercices 2018-2022. La CTC pointe du doigt des « dysfonctionnements à tous les niveaux de la chaîne de contrôle » de l’entité, mais aussi des « fraudes importantes (…) commises par deux directeurs généraux délégués ». L’un d’eux a utilisé la carte bancaire de la société pour « financer des vacances en famille dans les hôtels, des achats de bijoux, des sorties en boites de nuit ».

Publié le 09/09/2024 à 13:52 - Mise à jour le 09/09/2024 à 13:55

La Chambre Territoriale des Comptes a rendu, ce lundi, un rapport d’observations définitives très critique sur la gestion de la Société d’Économie Mixte (SEM) Abattage de Tahiti pour les exercices 2018-2022. La CTC pointe du doigt des « dysfonctionnements à tous les niveaux de la chaîne de contrôle » de l’entité, mais aussi des « fraudes importantes (…) commises par deux directeurs généraux délégués ». L’un d’eux a utilisé la carte bancaire de la société pour « financer des vacances en famille dans les hôtels, des achats de bijoux, des sorties en boites de nuit ».

La CTC entame son rapport en rappelant que le « développement des filières d’élevage » est « une priorité de la collectivité de Polynésie française pour son développement agricole et le renforcement de son autonomie alimentaire ».

La production animale locale représente à « peine 5 % des besoins totaux de la population », ce qui est insuffisant pour répondre à la consommation des habitants du fenua.

« Dans ce contexte, l’abattoir de Tahiti, créé sous forme de SEM en 1985 est l’unique prestataire local pour l’ensemble des filières de production de viande (porc, bœuf et volaille) et constitue un outil indispensable pour assurer non seulement un débouché pour les éleveurs, mais aussi garantir les règles d’hygiène actuellement en vigueur », soulignent les magistrats financiers.

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Or l’abattoir est régi par le statut de Société d’Économie Mixte et ce, « sans que les conditions juridiques ne soient respectées (actionnaires publics qui détiennent plus 90 % du capital) » mais aussi alors que la « convention d’affermage » est « irrégulière (signée par une autorité non habilitée, pas de loyer demandé au fermier par le Pays, pas de risque d’exploitation compte tenu d’une subvention systématique du Pays) », poursuit la CTC qui « invite la collectivité à étudier (…) une autre forme juridique ».

La Chambre a en outre constaté « des dysfonctionnements à tous les niveaux de la chaîne de contrôle » mais aussi « des fraudes importantes (…) commises par deux directeurs généraux délégués ».

L’un d’eux, « déjà salarié de la SEM » a bénéficié de « sur-rémunérations » injustifiées pour un montant total d’environ 6,8 millions de francs. Cette même personne a également utilisé à sa guise la carte bancaire de la société.

« Entre août 2019 et août 2020, divers retraits d’espèces, virements en sa faveur ou règlements par carte bancaire » ont été constatés, « pour des achats personnels pour un montant total de 1 653 059 francs », note la CTC. Elle a été condamnée par le tribunal à rembourser la société en 2022 mais aucune somme « n’a pu être recouvrée ».

Plus de 6 millions de dépenses personnelles

Son successeur a « réalisé des faits similaires mais à une échelle beaucoup plus importante », ajoute la Chambre. Ce dernier a en effet effectué « plus de 6 millions de francs d’achats à titre personnel ». « Il a ainsi financé des vacances en famille dans les hôtels, des achats de bijoux, des sorties en boites de nuit, des jouets pour sa famille, une moto pour son usage personnel, etc », indique le rapport. L’intéressé a été révoqué en mars 2023 mais « plus de 2 Millions de francs restaient encore à rembourser au moment du contrôle ».

Un « manque de culture de contrôle interne au sein de la structure », dixit la CTC qui « ne garantit pas non plus la préservation des fonds, des stocks et des biens attractifs de l’abattoir ».

« Le contrôle des activités opérationnelles de l’abattoir témoigne » également « d’une grande latitude laissée par la direction de l’environnement, en contradiction avec les règles relatives aux installations classées et à la protection de l’environnement ».

 « En matière de sécurité alimentaire, le bureau de santé environnementale a signalé des activités initiées entre 2019 et 2022, non prévues dans l’arrêté d’autorisation, dont la dernière (hachage et cuisson de terrines) était plus particulièrement susceptible de faire peser des risques pour les consommateurs », écrivent encore les magistrats financiers.

Enfin, la CTC note que « plus de la moitié des recettes de la SEM sont absorbées par les entreprises prestataires » et qu’elle « ne dispose pas d’autonomie quant à l’ajustement/fixation du montant des tarifs de ses prestations d’abattage, ceux-ci étant arrêtés par le conseil des ministres et fixés à un niveau qui permet la commercialisation de la viande locale à des prix comparables avec ceux de la viande importée, au détriment de la rentabilité de la société ».

« Au final, la SEM Abattage de Tahiti est déficitaire chaque année en raison de charges structurelles toujours importantes et une subvention d’équilibre du Pays est indispensable. Le fonds de roulement s’est très fortement dégradé en 2022 et est même négatif. La SEM ne disposant pas d’assez de ressources de long terme pour financer ses emplois immobilisés, cette situation l’oblige à se tourner vers des solutions de financements à court terme (dettes fournisseurs, ligne de trésorerie), ce qui n’est pas de bonne gestion », poursuit le rapport.

Et la CTC de conclure : « Si des progrès sont indispensables dans la gestion de la SEM, il n’en reste pas moins que sa rentabilité dépend essentiellement de facteurs dont elle n’a pas la maîtrise, ces facteurs étant contrôlés par le Pays à travers sa politique de soutien aux filières de l’élevage ».

Les 8 recommandations de la CTC :

Recommandation n° 1. : Dès 2024, se rapprocher du Pays afin d’assurer un contrôle sur place des installations classées relatives à l’abattoir.

Recommandation n° 2. : Dès 2024, initier, en lien avec le Pays, une nouvelle répartition du capital pour ne pas dépasser les 85 % d’actionnariat public.

Recommandation n° 3. : Réexaminer dès 2024, en lien avec le Pays, les statuts de la SEM à l’aune des dernières dispositions de la délibération n° 2023-56 APF du 12 octobre 2023.

Recommandation n° 4. : Mettre à jour, dès 2024, le document d’évaluation des risques professionnels.

Recommandation n° 5. : Renforcer, dès 2024, le dispositif de contrôle interne de la société.

Recommandation n° 6. : Dès 2024, s’assurer en lien avec le Pays, du respect des obligations de contrôle externe et d’information de la SEM Abattage de Tahiti.

Recommandation n° 7. : Se doter, dès 2024, d’un logiciel de comptabilité performant.

Recommandation n° 8. : Etudier, dès 2024, l’adéquation entre le personnel et l’activité de la SEM, en tenant compte de ses spécificités.

Le rapport complet de la CTC :

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