Hervé Berville : « On doit continuer à défendre notre souveraineté et nos territoires ultramarins »

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Le secrétaire d’État chargé de la Mer et de la Biodiversité, Hervé Berville, a accordé une interview exclusive à nos confrères d'Outremers360. Il revient sur les dernières annonces d'Emmanuel Macron concernant la pêche, et évoque son précédent déplacement en Polynésie, avec qui une convention "sur les enjeux maritimes" a été signée.

Publié le 11/04/2024 à 11:05 - Mise à jour le 11/04/2024 à 11:12

Le secrétaire d’État chargé de la Mer et de la Biodiversité, Hervé Berville, a accordé une interview exclusive à nos confrères d'Outremers360. Il revient sur les dernières annonces d'Emmanuel Macron concernant la pêche, et évoque son précédent déplacement en Polynésie, avec qui une convention "sur les enjeux maritimes" a été signée.

Outremers360 : Depuis février, en plus d’être chargé de la Mer, vous êtes également chargé de la Biodiversité. Lors de votre déplacement en Guyane, vous vous êtes rendus sur la plage des Salines, lieu de ponte des tortues marines. Comment est-ce que l’État aide à leur protection ? Et est-ce que d’autres moyens ont été annoncés pour cette protection ?

Hervé Berville : « Nous avons annoncé que nous avons une augmentation des crédits qui sont alloués pour la biodiversité. Nous allons passer de 280 millions d’euros de crédits pour la biodiversité à 500 millions d’euros. D’abord parce que la biodiversité est un enjeu quotidien pour les Outre-mer. 80% de notre biodiversité se trouve dans les territoires ultramarins. Donc, protéger la biodiversité, c’est préserver nos territoires ultramarins. Et surtout, protéger la biodiversité, c’est être en capacité de mieux lutter contre le changement climatique. Parce que les forêts, les mers, tous les écosystèmes rendent des services écosystémiques, et sont parfois des puits de carbone qui absorbent le surplus de CO2 créé par l’activité humaine.
J’ai une vision où le développement économique local et la préservation de la biodiversité vont de pair. Ce que nous portons pour la protection des tortues marines, qui est au passage un animal que j’affectionne, c’est comme j’ai pu le faire en Polynésie et comme je l’ai fait l’année dernière à Awala-Yalimapo, à l’Ouest de la Guyane, d’accompagner les associations, les collectivités locales qui les protègent.
Dans le cadre du Fonds d’intervention maritime et du Fonds vert, il y a des financements dédiés pour la préservation de ces espèces. Notre rôle est d’accompagner les collectivités, comme nous l’avons fait à la réserve de Saline, qui a bénéficié d’un financement du Fonds vert. Cela représente un million d’euros pour le Conservatoire du littoral, pour la collectivité, pour l’association Kwata, qui vise à préserver les tortues et leurs espaces, parce qu’elles sont en grand danger.
95% des tortues-luth ont disparu depuis 10 ans du fait de la pêche illégale. Et le réchauffement climatique fait que les pontes sont moins fructueuses. Quand on dépasse une certaine température, les œufs ne vont pas à maturité. C’est pour ça qu’on doit avoir une lutte acharnée contre le réchauffement climatique, parce que ça a un impact sur la biodiversité. Cette protection s’applique aussi aux mangroves, forêts qui sont partout sur le territoire guyanais, et au-delà, à nos océans, tout en conciliant cette protection avec de l’activité économique. Les populations attendent qu’on puisse améliorer leur quotidien, et cela fait aussi partie de notre capacité à donner une planète vivable à nos enfants. »

En Polynésie, vous avez rencontré deux fois le président Moetai Brotherson, à Paris, et vous vous êtes rendu sur place en novembre dernier. L’une des annonces, c’est cette fameuse convention entre le gouvernement local et l’État sur les enjeux maritimes…

« En effet, nous l’avons signée quand j’étais en Polynésie. Nous allons faire un point très prochainement, d’ici à un mois, avec le président Moetai Brotherson. Il y a trois axes dans le cadre de cette convention. D’abord, la lutte contre l’exploitation minière des fonds marins, qui est la plus grande menace pour les écosystèmes marins. Le pays et le gouvernement français ont la même position : nous ne devons pas commencer cette activité qui aurait des dommages irréversibles sur nos écosystèmes, sur la biodiversité et sur les activités économiques de notre pays.
Nous devons également continuer à porter ce combat au niveau régional. Je me suis rendu, juste avant ce déplacement en Polynésie, au Forum des Îles du Pacifique avec Moetai Brotherson pour indiquer à quel point nous étions parfaitement alignés sur le sujet. Par contre, nous allons continuer la recherche. On travaille avec l’Ifremer sur un centre pour la recherche sur les grands marins en Polynésie, parce que nous avons la chance d’avoir une grande partie de notre zone économique exclusive qui se trouve en Polynésie. C’est là que se joue cette recherche sur les grands marins. Nous souhaitons que ce centre soit opérationnel le plus rapidement possible. Ce sera l’un des grands enjeux du Sommet des Nations Unies pour les Océans que la France va accueillir à Nice. 
La deuxième grande priorité, c’était le développement de la filière pêche. À la demande de la Polynésie française, nous allons les accompagner, à travers une étude, pour déterminer quels sont les segments de pêche, comment la filière peut se structurer pour atteindre l’objectif de tripler la capacité de pêche en Polynésie.
Et puis, le troisième élément, c’est la question de la formation avec la création de ce Campus des métiers et des qualifications de la mer, qui va permettre de « maritimiser » l’économie polynésienne. Et les métiers de la mer, ce n’est pas que la pêche, c’est aussi la maintenance des navires, c’est aussi les énergies renouvelables, c’est aussi les enjeux de biodiversité, c’est aussi les enjeux de recherche scientifique, d’exploration, de perliculture, d’algoculture, de réchauffement climatique, car face à la montée des eaux, face à l’acidification de nos océans, il y a un besoin de formations. »

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Nous avons évoqué la pêche, la formation, la lutte contre la pêche illégale, la protection de la biodiversité. Est-ce qu’il y a d’autres sujets que vous souhaitez porter en Outre-mer ?

« Il y a un sujet qui me paraît essentiel, c’est celui de l’adaptation de nos territoires au changement climatique. On a vraiment une urgence à accompagner les collectivités, mais aussi à s’inspirer de ce qui se fait dans les territoires ultramarins pour l’Hexagone. Car il y a beaucoup de territoires qui travaillent à accentuer la lutte contre le changement climatique.
Je pense aussi à l’amélioration du quotidien des populations ultramarines qui ont un coût de la vie plus élevé que dans l’Hexagone. Il y a également la bataille de l’emploi. Il nous faut arriver dans ces territoires-là à créer des conditions d’investissement, d’emploi qui permettent d’avoir un développement qui se fasse aussi avec les autres territoires de la région. Dans la région Caraïbe, les Antilles doivent travailler avec les pays avoisinants. C’est déjà le cas, mais on peut renforcer cette coopération régionale.
Je prends l’exemple de la Jamaïque, où je me suis rendu avec le directeur de l’École nationale supérieure maritime qui forme les futurs officiers de la marine marchande. Sur place, l’Université jamaïcaine avec qui on coopère, était très peu tournée vers nos Antilles. Sur place, mon message était de favoriser notre connexion dans les Caraïbes. Donc renforcer l’intégration régionale de nos territoires pour pouvoir exporter nos savoir-faire et ainsi accompagner l’emploi, la création de valeur ajoutée pour nos territoires, est pour moi une priorité. 
Il faut également regarder les enjeux démographiques, je pense notamment à la Guyane, où il y a une démographie qui est en pleine progression. C’est une chance. Ça veut dire que si vous avez des jeunes, vous avez des créations d’emplois, vous avez des recettes, vous avez des services sociaux et vous avez des infrastructures qui peuvent être financées.
Et puis, le dernier point, c’est un élément essentiel, vu le contexte géopolitique dans lequel nous sommes,
c’est la défense de notre souveraineté. Grâce à la loi de programmation militaire, six nouveaux patrouilleurs Outre-mer arrivent (en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et à La Réunion, ndlr). Ils seront essentiels pour faire face à la conflictualisation accrue en mer, avec tout ce qui se passe dans le Pacifique, ce qui se passe aussi dans l’Océan Indien.
La protection de notre ZEE, la protection de nos intérêts stratégiques maritimes, c’est un enjeu sur lequel on travaille très fort. Quand j’étais à La Réunion, en Polynésie et en Guyane, j’ai vu nos militaires, nos forces armées. Nous devons continuer d’investir dans nos armées. C’est ce que le président de la République a décidé, c’est ce qu’on fait depuis 2017, puisque nous avons doublé le budget de l’armée entre 2017 et maintenant. On doit et on va, et c’est un enjeu important pour nous, continuer à défendre cette souveraineté et nos territoires ultramarins. »

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Quand on vous écoute, la mer et la biodiversité sont des sujets très transversaux, particulièrement Outre-mer. Est-ce qu’en tant que secrétaire d’État, vous arrivez à avoir l’amplitude, les moyens nécessaires pour influer sur ces sujets, sachant que ça passe aussi par une coopération avec d’autres Ministère, notamment des Outre-mer. Est-ce que vous rencontrez des difficultés ?

« Avec les différents ministres chargés des Outre-mer, nous avons toujours travaillé ensemble dans le même but et en parfaite intelligence. Il y a tellement d’envie dans ces territoires, tellement de projets, de sujets qu’on n’est pas de trop.
Quand on se déplace, dans les Outre-mer et dernièrement en Guyane, avec Christophe Béchu sur les enjeux de transition écologique, moi sur la mer et la biodiversité, Marie Guévenoux sur le côté plus transversal aux Outre-mer, cela montre que tous les ministères doivent s’occuper des Outre-mer. C’est ce que je fais parce que je suis particulièrement attaché à ces territoires-là. C’est peut-être dû à ma naissance, qui n’est pas ultramarine, mais en tout cas dans un pays lointain, le Rwanda. Ces territoires sont remarquables, ils ont une histoire particulière, ils font pleinement partie de la République et connaissent une implication totale de la part de tout le gouvernement.
C’est ce que demandent le président de la République et le Premier ministre Gabriel Attal, donc c’est ce que je fais. Il y a une réalité qui est là et que j’embrasse pleinement, c’est que 80% de notre biodiversité et 95% de nos ZEE se trouvent dans les Outre-mer. Ça doit être le quotidien de notre Ministère, et ça doit faire partie des priorités de ce Ministère. C’est ce que je demande à mes équipes et c’est ce que je fais au quotidien. »

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