Jules, un thésard pour enquêter sur le rendu de la justice au fenua

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Jules Gautheron, un jeune étudiant chercheur en sociologie, consacre actuellement une thèse de doctorat au fonctionnement de la justice et des forces de l’ordre en Polynésie. Un terrain d’enquête encore peu exploité à l’échelle nationale, auquel il souhaite « redonner sa place » dans la littérature scientifique. À terme, ce travail de longue haleine pourrait aussi permettre aux acteurs du secteur, magistrats, avocats, gendarmes et policiers, de disposer d’un regard « extérieur » pour « mieux comprendre leur propre univers professionnel »

Publié le 24/06/2023 à 11:59 - Mise à jour le 24/06/2023 à 17:40

Jules Gautheron, un jeune étudiant chercheur en sociologie, consacre actuellement une thèse de doctorat au fonctionnement de la justice et des forces de l’ordre en Polynésie. Un terrain d’enquête encore peu exploité à l’échelle nationale, auquel il souhaite « redonner sa place » dans la littérature scientifique. À terme, ce travail de longue haleine pourrait aussi permettre aux acteurs du secteur, magistrats, avocats, gendarmes et policiers, de disposer d’un regard « extérieur » pour « mieux comprendre leur propre univers professionnel »

Depuis de longs mois, il prend discrètement place dans les diverses salles d’audience du palais de justice de Papeete où il suit avec attention l’intégralité des procès. Mais Jules Gautheron n’est ni prévenu, ni journaliste, pas plus qu’avocat. Lui est étudiant chercheur en sociologie et dissèque au quotidien le fonctionnement de la justice et des forces de l’ordre en Polynésie.

Ce jeune homme de 26 ans a grandi à Hiva Oa, puis à Raiatea, où il a passé son baccalauréat scientifique, avant de poursuivre ses études en métropole. Et son parcours est sans faute. Master à Sciences Po Toulouse, puis un second à l’École des Hautes Études de Sciences Sociales et, aujourd’hui, un contrat d’étudiant chercheur.

« Mon école doctorale est l’université de Cergy mais je suis aussi rattaché à deux laboratoires : le Centre d’Études Sociologiques sur le Droit et les Institutions pénales, l’un des plus grands laboratoires en France sur les questions de Justice et de police, et le Centre Maurice Halbwachs où travaille mon co-directeur de thèse », explique-t-il.

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Depuis plusieurs années, il murit son projet et souhaitait que ses travaux soient consacrés au fenua. « Pour moi, c’était vraiment redonner leur place à ces territoires qui sont très peu étudiés dans le monde de la recherche. La plupart des questionnements scientifiques se font un peu sans les prendre en considération. Ce sont des choses qui m’intéressent. Le fonctionnement de la police et de la justice, ici, n’est quasiment pas étudié. On a très peu d’éléments ».

Pour cette première année sur le terrain (sa thèse pourrait nécessiter 4 à 5 ans de travail), Jules passe ses journées au tribunal, mais aussi auprès de mutoi de Papeete qu’il accompagne en patrouille. Il devrait par la suite s’immerger dans le quotidien d’autres acteurs du secteur. Mais, in fine, que cherche-t-il ?

« Il y a des problématiques spécifiques
à la Polynésie »

« Pour l’instant, la problématique générale consiste à voir comment on exerce la sécurité et de quelle façon on rend la justice dans un territoire d’outre-mer issu de la colonisation. Comment cela se déroule concrètement. Il y a des problématiques spécifiques à la Polynésie », dit-il.

L’étudiant chercheur a déjà relevé des « éléments frappants » comme « la place du Reo Tahiti dans les audiences et le rendu de la justice » et la « distance que cela peut créer entre les prévenus et les magistrats, par exemple ». « La langue peut avoir une grande importance pour nouer du lien, pour que les décisions soient mieux acceptées par la population. Il peut y avoir un décalage qui crée des difficultés de compréhension. Mais il n’y a pas que la langue, il y a aussi une distance sociale, économique. Selon les personnes, il peut y avoir une parfaite compréhension des mécanismes. Mais pour d’autres, pas du tout de compréhension, ou une compréhension très compliquée. Dans ce cas, cela rend difficile la notion d’équité », souligne-t-il.

Des prévenus sans avocat

Autre constat : « je suis surpris de voir régulièrement des personnes qui compassaient devant le tribunal correctionnel, notamment en comparution immédiate, sans être assistées d’un avocat ». Certains des prévenus ont-ils alors le sentiment de faire face à une justice coloniale ? « J’ai eu quelques échos en ce sens. Des personnes partagent ce sentiment mais pas toutes. Cela dépend ».

Une fois sa thèse achevée, Jules espère qu’elle sera profitable aux différents acteurs de l’appareil judiciaire et sécuritaire de Polynésie. « C’est aussi ce que l’on souhaite quand on fait de la recherche. On produit un travail scientifique et, après, on espère que des personnes vont s’en saisir pour mieux comprendre leur propre univers professionnel. C’est toujours intéressant d’avoir un regard extérieur, et scientifique, qui apporte des éléments de compréhension que l’on n’a pas forcément quand on est partie prenante de cet univers », conclut-il.

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