Fruit d’une mission menée il y a quelques mois par 4 sénateurs, dont François-Noël Buffet devenu, depuis, ministre des Outre-mer, ce rapport de 111 pages vient d’être rendu public. Les 4 élus du palais du Luxembourg constatent qu’après de nombreux soubresauts et des « modifications législatives » apportées en 2007, 2011 et 2019, « les institutions polynésiennes ont retrouvé une stabilité, qui a profité au cours des dernières années aux partis autonomistes ».
« Les élections territoriales d’avril 2023 ont cependant entrainé une alternance à l’Assemblée de la Polynésie française en faveur du parti indépendantiste » et, dans la foulée, l’élection de Moetai Brotherson à la Présidence.
« Conséquence de cette alternance, les institutions du Pays expriment aujourd’hui majoritairement une position favorable à l’indépendance du territoire, bien que cette demande d’accession alterne, selon les intéressés, entre l’indépendance immédiate et une indépendance envisagée au terme de dix à quinze ans, voire l’institution d’une ‘souveraineté partagée’ entre la France et le territoire », soulignent, en préambule, les 4 sénateurs.
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« Pour mieux faire vivre l’autonomie » du fenua, ils proposent ensuite « un nouvel ajustement des compétences entre l’État et le Pays » : « La mission estime que la répartition des compétences pourrait être réexaminée en privilégiant davantage une logique de ‘blocs de compétences’, dans une démarche de simplification et d’effectivité de l’action publique (…). Cette logique de blocs permettrait notamment de consolider la compétence internationale de la Polynésie française, pour ce qui concerne son environnement régional. De même, la compétence ‘médicaments’ pourrait être rattachée plus largement à la compétence ‘santé’ exercée par la collectivité ».
La mission considère, en outre, qu’une « clarification du droit applicable » au fenua était « nécessaire » en raison du « principe de spécialité législative » en vigueur. Elle estime, qu’à plus long terme, « la question de la pertinence de l’inversion du système actuel de spécialité législative » doit être posée « en retenant le principe d’une application de plein droit, sans mention expresse, de la norme nationale en Polynésie française, sous réserve d’adaptations et sauf exception ».
Limiter à 5 ans la durée de fonction des magistrats
Au sujet de la sécurité, les 4 sénateurs constatent que la Polynésie « connaît une délinquance générale relativement faible, avec une tendance à la baisse ». Deux points noirs toutefois : « une très forte prévalence des violences intrafamiliales » et « l’inquiétant développement du trafic de stupéfiants ». Ils soulèvent « le risque de voir le ‘marché’ polynésien » être « submergé » par la méthamphétamine. « La crainte est qu’à l’ice s’ajoute dans un futur proche l’importation de fentanyl, opioïde de synthèse très présent sur la côte ouest des États-Unis », soulignent-ils.
Ils proposent donc « d’adapter les moyens de prévention et de lutte (…), notamment en renforçant les capacités d’action du parquet et les moyens opérationnels des forces de sécurité ». Ils plaident aussi pour rendre effectif au fenua « le mécanisme de l’amende forfaitaire délictuelle » pour les délits routiers, ou de consommation et de détention de produits stupéfiants.
Toujours au chapitre judiciaire, la mission invite l’État à prendre « davantage en compte les spécificités géographiques » du fenua. « Du fait de ces caractéristiques, l’accès à la justice, qu’elle soit judiciaire ou administrative, est bien plus long, complexe et coûteux qu’en d’autres endroits du territoire national », constate-t-elle.
Elle estime également que la « question de la durée d’affectation des magistrats en Polynésie doit être posée ». Elle considère en effet « nécessaire de prendre en considération l’étroitesse du ressort juridictionnel, a fortiori lorsque ce dernier est identique en première instance et en appel ». La mission propose d’instaurer « des règles de mobilité spécifiques pour les magistrats du siège et du parquet » afin de limiter « l’exercice de leurs fonctions sur place à 5 années ».
« Prendre au sérieux les tentatives d’influences extérieures »
Dans un tout autre domaine, les 4 sénateurs appellent de leurs vœux un renforcement de « l’aide technique et opérationnelle de l’État au profit du Pays et des communes ». Ils évoquent « la pertinence que pourrait avoir l’intervention du Cerema et de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en soutien technique et opérationnel des projets ». Deux entités auxquelles Pays et communes ne peuvent pas faire appel en raison « d’obstacles juridiques » qui doivent être levés selon eux.
La mission préconise , en outre, de « prendre au sérieux les tentatives d’influences extérieures ». Du fait de sa situation géographique, la Polynésie est « confrontée aux velléités d’expansion culturelle ou économique des États du voisinage » : « Des États, à commencer par l’Azerbaïdjan, semblent chercher à jouer un rôle d’aiguillon pour détacher la Polynésie française de la France. Par le biais du ‘Groupe d’initiative de Bakou contre le colonialisme français’, l’Azerbaïdjan entend ainsi apporter un soutien politique et matériel à la démarche indépendantiste en Polynésie ».
« L’immixtion d’une puissance étrangère dans les affaires du territoire et dans ses relations avec l’hexagone, déjà identifiée en Nouvelle-Calédonie, est préoccupante. Elle doit être prise avec sérieux (…). Il faut donc surveiller les tentatives d’influence ou d’ingérence étrangères qui se développent en vue d’attiser un sentiment anti-français en Polynésie française », écrivent les 4 sénateurs. Ils demandent que le Pays soit « associé (…) à la définition ainsi qu’à la mise en œuvre de la stratégie Indopacifique de la République ».
Elle se dit également « convaincue » de la nécessité, pour la Polynésie, de « développer autant que possible la coopération régionale avec les États voisins » : « L’exécutif de la Polynésie française apparaît parfaitement légitime à représenter le territoire (…) dans ces échanges, dans le respect des mécanismes prévus par la loi organique statutaire »
La mission appelle aussi l’État à « soutenir la Polynésie dans sa volonté de développement endogène et régional » notamment sur 3 secteurs : le numérique, le fenua pouvant devenir un « hub » du fait de sa position géographique ; la mise en valeur des ressources naturelles ; et l’insertion professionnelle des jeunes en renforçant « la capacité d’accueil des compagnies du RSMA ».
Une communauté d’archipel aux Marquises complexifierait les institutions
Au sujet de « l’organisation institutionnelle », les 4 sénateurs soulignent que les « communes peinent à trouver leur juste place face au Pays ». « Dans les archipels ou îles éloignés de Tahiti, l’exercice par le Pays de ses prérogatives est souvent jugé trop distant et décidé trop loin des élus et des populations », notent-ils. Pour une « prise de décisions au plus près des administrés », ils proposent de recourir à deux mécanismes. Le premier « permet au Pays de déléguer aux maires (…) les compétences pour prendre les mesures individuelles d’application des lois du Pays » et le second, autorise la Polynésie « à confier (…) aux communes ou aux établissements communaux (…) la réalisation d’équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de leurs compétences respectives ».
La mission préconise aussi le « retour au Pays de certaines compétences que les communes (…) ne sont pas en mesure d’exercer », notamment en matière de traitement des déchets : « La mission estime que la spécificité des communes polynésiennes et la nécessité d’assurer un traitement des déchets de manière efficace tout en maîtrisant les coûts justifient une redéfinition des compétences actuelles entre les communes et le Pays en vue de conférer à ce dernier la compétence en la matière ».
Enfin, les 4 sénateurs estiment que l’intercommunalité « apparaît comme le vecteur juridique idéal » de la différenciation des communes, liée à leur « diversité géographique et culturelle ». Une intercommunalité qui permet « d’adapter les compétences communautaires aux enjeux et besoins des territoires concernés ».
Quant aux velléités des Hakaiki de créer une communauté d’archipel des îles Marquises, la mission n’y est pas favorable : « La création d’une nouvelle catégorie de collectivité risquerait de complexifier le paysage institutionnel polynésien, alors même que l’intercommunalité est un instrument juridique suffisamment malléable pour apporter à l’archipel (…) des réponses appropriées et adaptées ».
Le rapport complet de la Commission des lois du Sénat :