Rien ne prédisposait Lesly Yao à devenir soldat du feu au pays du sirop d’érable. Originaire de Pirae, la jeune femme a effectué sa scolarité à l’école Sainte-Thérèse, puis au collège et lycée La Mennais à Papeete. Après l’obtention de son baccalauréat, Lesly a décidé de poursuivre ses études au Canada, à l’université McGill. Elle a étudié la finance dans un premier temps, puis le marketing, un domaine « plus créatif ».
Une fois diplômée, la jeune polynésienne a exercé dans diverses agences de renom durant plusieurs années. « Dans ce type d’agences, il y a toujours du fun : des tables de ping-pong, du babyfoot. C’est une ambiance divertissante », explique-t-elle avec un fort accent québécois, héritage de ses 11 années passées au Canada.
Son parcours était donc tout tracé. Mais l’épidémie de Covid, et avec lui le télétravail, ont bouleversé le cours de choses. « J’étais seule durant un an devant mon ordinateur. Le matin, je me réveillais, je l’allumais, je travaillais, puis je l’éteignais le soir avant d’aller me coucher. C’était tellement répétitif. J’avais l’impression de gaspiller ma vie. Je rendais juste ces compagnies plus riches dans une société de surconsommation. Je n’étais plus contente de ce que je faisais. Je voulais avoir un but dans la vie. Pourvoir être fière de ce que j’accomplissais. Je me suis dit : ‘je veux pouvoir servir’ », relate-t-elle.
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À la télévision, elle tombe sur une annonce de recrutement de femmes dans l’Armée. N’ayant pas la nationalité canadienne, elle ne peut cependant prétendre à l’incorporer : « Mais ça a allumé une petite lumière en moi. Je voulais trouver un autre moyen de pouvoir servir ».
Celle qui a « toujours eu cette idée de devenir pompier », effectue alors des recherches sur Internet. « Pour moi, c’était un job de rêve. Mais, dans ma tête, pour une petite personne comme moi qui vient de Tahiti, cela me paraissait impossible de le faire ». Elle se renseigne tout de même, « juste pour voir », et découvre que plusieurs écoles proposent des formations.
« J’ai postulé pour l’Institut de protection contre les incendies du Québec. Ils m’ont contactée en me disant : ‘on commence le processus de sélection avec des tests physiques’. Mais comme c’était la pandémie, toutes les salles de gym étaient fermées. Du coup, pour m’entraîner, je descendais et remontais les escaliers de mon immeuble avec de sacs de farine sur le dos. Et je faisais des séances de cardio en regardant des vidéos », sourit la jeune polynésienne.
À force de persévérance et de détermination, elle est finalement retenue et suit une formation d’une année. Puis, elle candidate pour intégrer la caserne de Brownsburg-Chatham, une petite ville d’environ 10 000 habitants. Et là aussi, après divers tests de sélection, elle est finalement recrutée.
Lesly est aujourd’hui la seule femme à exercer au sein de la caserne, entourée d’une trentaine de collègues masculins. À ses débuts, elle avait quelques appréhensions, vite disparues : « Je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Surtout dans une petite ville. Je me disais : ‘je vais vivre des choses affreuses. Ils n’ont pas encore une ouverture d’esprit sur les femmes’. Mais en fait, toute mon équipe est jeune. Et même les plus anciens sont ouverts d’esprit. Je n’ai jamais vécu de sexisme, ni de racisme. Je me sens chanceuse de faire partie de ce service. Il y a quelques petites blagues par-ci par-là, mais ce n’est pas méchant ».
Son quotidien est désormais rythmé par les interventions. La lutte contre les incendies, qui est « fun », mais aussi l’assistance aux personnes. « L’une des interventions qui m’a le plus marquée, était l’une des premières. J’ai dû effectuer un massage cardiaque sur un homme qui venait de se faire opérer du cœur. Quand je le massais, les points de suture commençaient à s’ouvrir. J’avais les mains pleines de sang. Cela fait quelque chose. Malheureusement, la personne est décédée », se souvient-elle.
Lesly estime avoir trouvé sa place aujourd’hui dans cet univers, bien éloigné de celui de ses parents, notaires de profession. Des proches qui ont regardé d’un drôle d’œil son changement de carrière.
« Au départ, ils ne l’ont pas bien pris. J’allais vers un job manuel alors que j’en avais un confortable dans un bureau. Ils ne comprenaient pas. Ma mère voyait surtout le côté dangereux. Mais ils ont fini par l’accepter parce qu’ils voient que ça me rend heureuse, que j’aime ça et que je fais bien mon travail. Ils sont venus me voir à la caserne. J’espère qu’ils sont fiers de moi », dit-elle.
Mais pour les parents, « c’est encore difficile » : « Avant, j’écrivais à ma mère avant d’aller sur une intervention. Maintenant, je le fais quand je reviens pour ne pas l’inquiéter ».
Pour le moment, Lesly ne se voit pas quitter son pays d’adoption. Elle ambitionne d’exercer à l’avenir dans de plus grosses villes comme Montréal ou Laval : « Je suis allée visiter la caserne de Pirae. Elle est bien dotée. Mes parents espéraient que je revienne à Tahiti, mais j’ai ma vie ici. J’aime le Canada, le Québec ».
Lesly veut désormais « profiter pleinement de la vie » qui s’ouvre à elle. « Le message que je veux faire passer, c’est qu’il faut faire ce qui nous rend heureux, pas ce qu’on attend de nous. Il ne faut pas avoir peur. J’ai eu peur de déménager au Canada, puis peur de changer de carrière. Mais ce qui me faisait encore plus peur, c’est d’avoir des regrets à 80 ans. Ne pas avoir essayé », conclut-elle avec philosophie.