« Il faut que l’on sorte de là… L’immeuble a été déclaré insalubre. Il faut qu’on sorte », répète Daniel Martin en leitmotiv, comme pour s’en persuader.
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Lors des premières négociations, l’avocat de Daniel Martin avait réussi à obtenir le paiement de 50 millions de francs d’indemnités pour quitter les lieux. Petit bémol, c’est le propriétaire qui doit d’abord avancer la somme, en effectuant un emprunt à la banque, et le Pays, par la suite, le remboursera à 120 jours, une fois qu’ils auront quitté les lieux.
Situation ubuesque. « Pour sortir, il faut que l’on emprunte, nous, pour pouvoir licencier le personnel. Parce que je ne vois ce que l’on peut faire autrement. il faut qu’on paye ce qu’il y aura à payer, le déménagement, et peut-être que par la suite on sera remboursé, si ils ont des sous… Dans combien de temps… » questionne Daniel Martin, abattu.
L’homme est fatigué, ne dormant que trois à quatre heures par nuit. Sur son visage se lit l’incertitude. « Ca trotte dans ma tête… Alors, comment faut faire, on n’en sait rien. On continue. Pas question d’abandonner… » dit t-il puisant dans ce qu’il lui reste d’énergie pour tenter le dernier combat, ultime sursaut de résistance devant la machinerie administrative. « Je vais demander à voir le président Edouard Fritch, car je ne sais pas si il sait vraiment tout ce qui se passe ».
Fin novembre est la date couperet. Celle à laquelle l’imprimerie Juventin doit quitter les lieux et avec elle, un peu de l’histoire du pays, car dans la tête de Daniel Martin, « l’imprimerie Juventin, c’est fini. J’ai 72 ans, je vais faire quoi. Racheter du matériel et repartir à zéro ? » Une question qui pour l’heure reste sans réponse…
Gérald Roullet, commercial à l’imprimerie, lui est « très embêté, puisque c’est mon salaire et mon travail qui disparaissent. » L’homme accuse le coup, visiblement touché par la destruction de son gagne pain, annonçant un avenir pas des plus radieux. « Je suis dans l’expectative. Je ne sais pas où je vais après. »
Plus que l’idée de la destruction du bâtiment, c’est la perte de son emploi qui le préoccupe et on le comprend. Il fait partie de la tranche d’âge sexa pour laquelle retrouver un emploi s’annonce utopique.
Travaillant pour l’imprimerie Juventin depuis 2007, son destin est lié à celle-ci. La voir détruite, c’est l’amputer d’une partie de sa vie. « C’est une vie que l’on perd. »
Outre le coté économique, il y a aussi le coté patrimonial de la chose. L’imprimerie Juventin, n’est pas n’importe laquelle des imprimeries. C’est la plus ancienne de Tahiti.
« Donc une des plus vieilles entreprises du territoire. Je ne sais pas si l’on peut appeler cela du patrimoine, mais c’est quand même quelque chose qui est là depuis de nombreuses années et qui s’en va… »
De plan B, il n’en a pas, « A partir d’un certain âge, c’est pas évident. Les temps sont durs. » Et pour certains, plus que d’autres.