Me Thibaud Millet : « Le Pays a la pleine compétence pour légiférer » sur le cannabis

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Vendredi, Ariimatatini Vairaaroa, un père de famille qui soulageait sont fils autiste et épileptique avec de l’huile de cannabis, a été relaxé par le tribunal, celui-ci estimant qu’il faisait face à une « situation irrépressible ». Lors de l’audience, son avocat Me Thibaud Millet a soulevé le fait que les textes encadrant les produits stupéfiants au fenua étaient, selon lui, « illégaux ». Le pénaliste considère que le Pays dispose de toutes les compétences nécessaires pour légiférer en la matière. Interview.

Publié le 17/06/2024 à 11:58 - Mise à jour le 17/06/2024 à 12:10

Vendredi, Ariimatatini Vairaaroa, un père de famille qui soulageait sont fils autiste et épileptique avec de l’huile de cannabis, a été relaxé par le tribunal, celui-ci estimant qu’il faisait face à une « situation irrépressible ». Lors de l’audience, son avocat Me Thibaud Millet a soulevé le fait que les textes encadrant les produits stupéfiants au fenua étaient, selon lui, « illégaux ». Le pénaliste considère que le Pays dispose de toutes les compétences nécessaires pour légiférer en la matière. Interview.

TNTV : Votre client a obtenu une relaxe, vendredi, le tribunal retenant la « situation irrépressible » à laquelle il est confronté ? Que signifie ce terme ?

Me Thibaud Millet : « Je pense que le tribunal a simplement insisté sur le caractère humain de la situation et sur le fait, qu’en réalité, dans ce dossier, il y a une vraie nécessité de ce cannabis thérapeutique qui a été reconnue comme tel par les médecins. J’ai produit trois certificats médicaux de différents médecins qui suivent Ariimatatini, l’enfant. Ils confirment qu’il prenait du CBD, du cannabidiol, et que cette huile de cannabidiol permettait de réduire le nombre de crises d’épilepsie. Le tribunal a estimé qu’il ne pouvait pas condamner dans une situation pareille ».

TNTV : Juridiquement, cette relaxe semble fragile, 110 plants de cannabis ayant été saisis chez votre client qui, en outre, a reconnu qu’il en consommait lui aussi de temps à autre. Redoutez-vous un appel du ministère public ?

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Me Thibaud Millet : « Ce que je peux dire, c’est que ce serait clairement perçu comme un acharnement du ministère public. La poursuite était indigne depuis le départ. Vouloir faire appel de cette relaxe, et continuer à poursuivre cette famille serait de l’acharnement, du harcèlement ».

TNTV : Mais cette décision de relaxe pourrait faire jurisprudence.

Me Thibaud Millet : « Je pense que cela ferait difficilement une jurisprudence très étendue puisqu’on parle d’un cas très atypique qui aura beaucoup de mal à être transposé à une autre situation ».

TNTV : Devant le tribunal, vous avez soulevé une « exception d’illégalité » de textes encadrant les stupéfiants en Polynésie. Votre demande a finalement été rejetée. Mais pourquoi estimez-vous qu’ils soient illégaux ?

Me Thibaud Millet : « En réalité, dans ce dossier, la relaxe s’impose dans tous les cas : soit en prenant le côté humain de ce dossier, et le côté dramatique que vit cette famille, soit du côté légal, en annulant tout simplement le cadre juridique local actuel. Vous avez aujourd’hui en Polynésie une réglementation sur le cannabis qui est obsolète et totalement illégale en ce qu’elle considère comme stupéfiants tous les types de cannabis, même ceux qui ne sont pas stupéfiants. Il est communément admis aujourd’hui, aussi bien légalement que scientifiquement, que le cannabis qui contient moins de 0,3% de THC, et d’une manière générale le CBD, ne sont pas des stupéfiants. Mais la loi polynésienne considère que si. Elle va même jusqu’à interdire les cordages de bateaux, les textiles, les pare-chocs de voitures, tout produit qui contient du cannabis, y compris des graines qu’on pourrait consommer, comme les graines de chanvre. Tout cela est considéré comme stupéfiants de manière complément ridicule. C’est en train de changer, mais les poursuites étaient exercées sous l’empire de cette règlementation qui est toujours en vigueur et qui le sera encore quelques jours ou quelques semaines. Nous estimons que cette réglementation est illégale. Donc, le tribunal aurait aussi pu choisir cette voie pour relaxer. Dans tous les cas, s’il devait y avoir un appel, c’est certainement une des voies possibles qui pourraient être empruntées par la cour d’appel ».

TNTV : La justice est de compétence d’Etat, mais la santé (dont relève la liste des produits stupéfiants) est de compétence du Pays. Quelle peut donc être la marge de manœuvre de la Polynésie en la matière ?

Me Thibaud Millet : « Il y a eu beaucoup de débats sur la question, mais la réponse est assez claire. Le Pays a la pleine compétence pour légiférer sur ce sujet. C’est lui qui décide de classer ou non un produit en stupéfiants. Le seul guide qui doit suivre dans cette démarche, c’est de savoir si le produit est toxique et s’il entraîne des addictions. Dans ce cas-là, on peut classer en stupéfiants. Si ce n’est pas le cas, on ne peut pas. Le Pays a toutes les compétences pour décider de déclassifier une partie du cannabis. C’est ce qu’il est en train de faire en considérant que s’il y a moins de 0,3% de THC, on ne peut plus parler de produits stupéfiants. Donc on ne peut plus l’interdire. C’est ce qui se fait en Europe, en France et, globalement, partout dans le monde ».

TNTV : Et qu’en est-il du cannabis thérapeutique contenant plus de 0,3% de THC, voire du cannabis récréatif ?

Me Thibaud Millet : « Je pense que c’est une compétence du Pays. C’est à lui de dire qu’un produit est stupéfiant ou pas. C’est à la Polynésie d’en décider ».

TNTV : Pour ce qui est du cannabis thérapeutique, un texte est dans les tuyaux depuis de longs mois. Où en est-on ?

Me Thibaud Millet : « On a un projet de loi de Pays qui est sur la table de l’Assemblée. Il a été voté en Conseil des ministres et devrait être étudié dans les jours à venir. Il prévoit très clairement de sortir de la classification des produits stupéfiants, le cannabis qui contient moins de 0,3% de THC. Il va y avoir toute une liste qui va être faite de variétés qui correspondent. Et, également, de sortir le cannabidiol de la liste des stupéfiants. On va enfin avoir cette mise en conformité de la réglementation locale. Un deuxième pan de la loi porte sur le cannabis thérapeutique. Là, on parle du cannabis, y compris avec du THC, qui va pouvoir être commercialisé. On a des produits qui vont pouvoir être enfin importés et prescrits en Polynésie française permettant de soigner des pathologies comme celle dont souffre le jeune Ariimatatini. Il y a une vraie impulsion politique aujourd’hui pour soutenir cette démarche. Il y a encore quelques personnes réfractaires : au niveau de l’opposition, mais aussi au sein de la majorité. C’est important aujourd’hui qu’ils prennent conscience notamment du cas de ce jeune garçon qui, presque à lui seul, pourrait justifier la légalisation du cannabis thérapeutique. Les personnes qui ont encore des doutes devraient aller au contact de ce genre de malades pour leur demander quel est leur quotidien et constater d’elles-mêmes l’effet bénéfique que peut avoir le cannabis sur certaines pathologies ».  

TNTV : Pensez-vous qu’une légalisation du cannabis thérapeutique pourrait avoir une incidence sur les jugements rendus à l’encontre des consommateurs lambda qui ne disposeraient pas d’autorisation médicale.

Me Thibaud Millet : « Objectivement, cela ne devrait pas. L’interdiction demeurera, mais cela aura quand même un effet de dédiabolisation d’intégrer le cannabis dans une logique thérapeutique, que ça fasse partie du paysage des médicaments. Je pense que cela permettrait de dédramatiser les choses chez certains qui ont une vision un peu dogmatique et excessive du sujet. Mais dans l’ensemble, cela restera interdit avec les mêmes peines. Et il n’y a pas de raison que cela change pour l’instant avec cette loi ».

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