Un général tout puissant, une crise économique qui se profile et une forte poussée démographique. Difficile au début de l’année 1963 de s’opposer au lancement du chantier du CEP pour relancer l’activité du territoire. Une délégation polynésienne en déplacement à Paris rencontre le général de Gaulle. Dans un discours, le président de la République de l’époque leur annonce que la fenua accueillera désormais le site d’expérimentation nucléaire.
« Ce qui était curieux, c’est que les hommes politiques qui étaient présents dans le bureau du général de Gaulle et qui ont entendu, le 3 janvier, cette annonce, certains d’entre-eux ont fait comme si ce n’était pas tout à fait ça », explique l’historien Jean-Marc Regnault.
Dans les années 60, les élus avaient-ils pris la mesure du bouleversement qu’engendrerait cette implantation ? Mais les opposants au nucléaire ont peu de marge de manœuvre. A cette époque, prôner l’indépendance constituait un délit. Les partis politiques militant pour celle-ci risquaient d’être dissous. Et l’économie du territoire étant fragile, l’installation du CEP ne suscite pas vraiment de résistance localement.
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« Quelques personnalités ont protesté, notamment Jacques-Denis Drollet ou Gérald Coppenrath. Mais lorsque de Gaulle a dit : ‘j’ai besoin de ça pour la défense de la France et qu’elle retrouve sa grandeur’, ils ont dit : ‘si c’est pour la grandeur de la France, on s’incline », précise Jean-Marc Regnault.
« J’ai rencontré énormément d’anciens qui regrettent d’y avoir participé »
« Il ne faut pas oublier que de Gaulle, à cette époque-là, il était acclamé comme le libérateur de la deuxième Guerre Mondiale », complète Père Auguste, le président de l’association 193, « il y avait encore une emprise sur la conscience collective ».
Les essais américains dans le Pacifique font craindre à la même époque des conséquences sanitaires. Des voix s’élèvent alors à l’international. Mais l’assemblée territoriale ne s’oppose pas à cet imposant chantier. Une certaine ambiguïté plane tout de même.
« On en entendait parler, notamment par le biais des pasteurs de l’Eglise Protestante mais comprendre l’impact réel de ces essais, savoir quelles seront les conséquences, très peu de voix se sont levées à ce moment-là si ce n’est celle de John Teariki, quand on repense à son discours », se souvient Père Auguste.
« A l’époque, John Teariki cela ne l’intéresse pas trop mais son beau-frère, Henri Bouvier, est très hostile au nucléaire et il lui dit : ‘puisque tu es député, achète-moi à Paris tel ou tel livre’. Donc John Teariki les achète et il rentre avec mais, il l’a dit par la suite : ‘je n’étais pas convaincu’. Henri Bouvier lui a lu les passages essentiels et, là, il est devenu un adversaire du CEP, mais trop tard », tempère Jean-Marc Regnault.
60 ans plus tard, le sujet des essais nucléaires en Polynésie demeure des plus sensibles. Certaines questions restent en suspens, en premier lieu leurs conséquences environnementales et sur la santé des populations.
« J’ai compris ce côté très confus dans l’esprit de nos parents ou des anciens qui ont participé à l’œuvre du CEP, ou du CEA, comme une certaine culpabilité par la suite (…) J’ai rencontré énormément d’anciens qui, d’une certaine manière, regrettent amèrement d’y avoir participé », souligne Père Auguste.
Avec l’ouverture des archives, il est important pour Jean Marc Regnault de déterminer avec précision ce qui a été décidé il y a plus d’un demi-siècle et dans quel contexte. Car l’historien estime que la Polynésie doit connaitre au mieux son passé pour pouvoir relever les défis qui l’attendent.