Le temps d’un discours de cinq minutes, elle a tantôt interpellé, tantôt ému l’auditoire de l’amphi où se déroulait la 5è édition du concours d’éloquence organisé par l’Université de la Polynésie Française (UPF), vendredi dernier. Oeterau Peu, 19 ans, avait la lourde de tâche de passer derrière les huit autres candidats pour happer son public. Un défi que l’étudiante en première année de droit a relevé avec une aisance que peu lui connaissaient, remportant le premier prix devant Auarii Tetuahitirere et Floyd Mahinui.
Sur le thème « Connaître d’où l’on vient pour savoir où l’on va » , elle introduit son propos par le télescope spatial Hubble, une invention humaine capable de voir plus loin que l’homme lui-même. « Ils ont de la chance, ceux qui voient loin, murmure-t-elle. Leur passé ne définira jamais leur destin » . Son passé à elle est marqué par une histoire familiale qui a ouvert des plaies, exigeant d’être plusieurs à les soigner.
Sa mère Titaua, connue au fenua pour son écriture engagée, a été la première surprise à voir sa fille se livrer de la sorte. « Elle était fière, heureuse pour moi, confie Oeterau. Avant le jour J, je lui ai donné mon texte en version finie. Elle ne s’attendait pas du tout à ça » , à une transparence d’autant plus inattendue qu’Oeterau se définit elle-même comme une introvertie. « Mes amis ne s’attendaient pas non plus à ce que ça donne ce résultat. D’autres personnes que je connaissais en surface ne me voyaient pas forcément comme une fille sentimentale. Le mot d’ordre, c’était la surprise » .
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Il faut dire qu’Oeterau a raconté une « balade loin d’être confortable et paisible » , selon ses propres termes. Celle de traumas transgénérationnels, d’un père absent et d’aïeuls violents. « J’ai le nom de jeune fille de ma mère (Titaua Peu), qui ne s’est jamais mariée. Elle-même a le nom de son père, qui était l’archétype un peu hollywoodien du père violent, confie Oeterau. Elle a une vision assez enjolivée du personnage. Elle a fait un bel héritage de ce nom dont elle est très fière » .
À défaut d’être fière de son nom, Oeterau l’accepte pleinement, avec les failles qui l’accompagnent. Non sans une certaine peur de « recréer (cette) histoire familiale » . « Je n’ai pas envie d’avoir d’enfants pour cette raison, j’ai peur de répéter ces erreurs, avoue-t-elle. Parfois, quand je suis énervée, je sors des phrases que l’on me disait quand j’étais petite, et ça me travaille. Des fois, je m’en veux. Mais ça sort tout seul » . Un recul sur elle-même qu’elle prend aussi sur sa non-relation avec un père absent. Aujourd’hui, Oeterau assure n’avoir « pas de ressentiment pour la personne » , mais ne pas vouloir « aller le chercher » pour autant. « Je sais quel son prénom, qui il est et ce qu’est sa vie. Mais je ne veux pas de lui dans la mienne (…) Il y a peut-être ce regret de ne pas avoir eu de figure paternelle, de se dire que ma vie aurait été différente si je l’avais eue » .
Un talent découvert sur le tas
Pour poser tous ces sentiments bruts sur papier et les exprimer, puis les interpréter, Oeterau, bien que naturellement douée, a dû s’entraîner. Elle s’est affirmée grâce à un encadrement aux petits oignons pour préparer les neuf candidats. Chaque semaine à partir de décembre, ils ont suivi des ateliers animés par des professeurs différents, spécialistes dans leur domaine. Cours de sophrologie pour la respiration, un cours pour apprendre à conter et à gérer son corps lors d’un oral. « Il faut vraiment remercier les coaches qui nous ont accompagnés toutes les sessions. Ce sont eux qui m’ont appris la gestion du stress, sinon je pense que j’aurais eu un gros blanc, sourit Oeterau.
Par un sens de la rime certain, elle parvient à faire de son discours une poésie, emprunte des sonorités méticuleusement choisies. « Je ne sais pas si c’est le hasard qui a fait que j’aime bien écrire, mais je sais que ça ne vient pas de ma mère, assure-t-elle. Elle est très intime sur l’écriture, qu’elle fait un peu en cachette. Disons que c’est un hobby qui a commencé avec des amis. Vers le collège, on avait ce délire de copier les rappeurs, c’était à la mode à l’époque » . Elle cite BigFlo et Oli, les deux frères de Toulouse, qui ont connu un gros succès auprès de (très) jeunes auditeurs à leurs débuts, vers 2010.
Mais l’exercice du concours d’éloquence n’est pas celui de la chanson, pré-découpée en couplets, ponts et refrains. Très vite, elle s’oriente vers une forme de prose très personnelle. « Je voyais des concours d’éloquence sur Youtube, ceux de HEC ou de Sciences Po. J’ai toujours trouvé que c’était super stylé. Ils ne parlent pas forcément de sujets super importants, mais ils arrivent à les tourner pour les rendre plus intimistes, admire-t-elle. C’est ça que j’ai aimé et qui m’a donné envie de participer à celui de l’UPF » .
Si Oeterau n’est pas contre une nouvelle expérience dans un concours du même acabit, elle n’en ressent pas le besoin. Elle prend quand-même, au passage, les félicitations du président du Pays Moetai Brotherson, peu avare en compliments sur sa performance. « C’est une amie qui m’a partagé sa publication, en mode ‘Eh regarde!’ . J’ai trouvé ça drôle, admet-elle. Je pensais que c’était un petit concours d’éloquence d’université, dans un petit cercle, et là il y a le président qui vient et qui poste ta tête sur Facebook. Il aurait pu demander quand même ! (rires) » .
Si tout le reste de sa jeune vie reste à écrire, Oeterau n’a pas le vertige. Elle compte bien assumer les choix qui seront les siens. « Je me sens délivrée, c’est déjà bien. J’ai fait le plus gros du travail, à accepter tout ça. Mais je pense qu’il y aura toujours un peu de chemin à faire » , conclut-elle.