Passionné de deux roues, Heikua ouvre son garage à 19 ans

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Se lancer dans l’entreprenariat peut prendre des années quand on n’en possède pas les codes. Heikua Kahia, lui, n’a pas attendu longtemps pour franchir le cap. Parti pour des études d’ingénierie mécanique au Canada, le jeune Polynésien a opéré un virage à 90 degrés pour revenir aux sources à Faa'a, où il a récemment ouvert son garage "Tahiti Help Them".

Publié le 09/02/2025 à 11:46 - Mise à jour le 09/02/2025 à 11:46

Se lancer dans l’entreprenariat peut prendre des années quand on n’en possède pas les codes. Heikua Kahia, lui, n’a pas attendu longtemps pour franchir le cap. Parti pour des études d’ingénierie mécanique au Canada, le jeune Polynésien a opéré un virage à 90 degrés pour revenir aux sources à Faa'a, où il a récemment ouvert son garage "Tahiti Help Them".

« Moi, tu me parles pas d’âge » . Devenue culte, la phrase lancée par le tout jeune Kylian Mbappé en mai 2018, alors qu’il n’a que 18 ans, a plutôt bien vieilli : aujourd’hui champion du monde, meilleur buteur de l’histoire du PSG devenu attaquant star du Real Madrid, le gamin de Bondy n’a cessé de sauter les étapes tout au long de sa carrière. Le genre de profil précoce qui interpelle.

Même s’il ne sera probablement jamais une star mondiale, Heikua Kahia, 19 ans, n’est pas non plus du genre à traîner. Pas sur un terrain de football, mais dans son atelier de Faa’a, où il a ouvert son propre garage en début d’année. Baptisé « Tahiti Help Them », une référence à l’acronyme THT pour Toahotu, où il a vécu, le jeune tahitien propose aux amateurs de deux roues – particulièrement aux propriétaires de PCX – ses talents de mécanicien. Avec une pointe d’originalité : outre la réparation et l’entretien, Heikua offre ses services de tuning, modifications dont les Polynésiens raffolent et qu’il a très vite identifié comme filon porteur, en tant qu’adepte de la bikelife.

Comme beaucoup d’enfants du fenua – dont son collègue Mana Tua Bennett – , il commence par le vélo, puis passe une vitesse dans son cursus mécanique lorsqu’il obtient son permis 125 cm³ à 16 ans. Il ressort le scooter familial laissé libre et, de fil en aiguille, s’intéresse à l’entretien et à l’amélioration de son véhicule, découvrant un univers où il n’existe que peu d’offres spécialisées en Polynésie. Très vite, il se fait un réseau, partage des conseils, démonte et remonte ses propres pièces avec minutie. Une passion dévorante qui n’occulte toutefois pas son implication dans ses études : sa mère baigne dans le bain académique, et plutôt brillant à l’école, il file étudier l’ingénierie mécanique à Polytechnique Montréal, son bac S mention bien en poche.

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Un détour par le Québec avant le retour aux sources

Encouragé par ses parents, il se lance alors dans un autre monde, parachuté dans un mode de vie totalement différent, du haut de ses 17 ans. « Je n‘avais jamais connu le froid, j’avais jamais vu la neige, je n’avais pas énormément voyagé non plus. Là-bas, ça descend jusqu’à moins 40°, raconte-t-il. Tout était nouveau, tout était wow. Surtout les deux premiers mois. C’est gigantesque. Et les gens sont adorables au Canada« , souligne-t-il. Malgré une charge travail éreintante, il travaille dans un hôtel pour se payer ses études. Pour garder un bout de son île, il intègre le bureau local de l’AEPF et reste proche des cercles polynésiens de l’Université.

« Tu te rends compte que, finalement, on n’est pas plus mal chez nous »

Mais les premiers questionnements deviennent, au bout d’un an, une certitude. Malgré une adaptation réussie, quelque chose lui manque. « Je n’étais pas forcément dedans à 100 %. Je me donnais parce qu’il fallait que je me donne, parce qu’il y avait quand même eu des sacrifices derrière. J’avais quitté toute ma famille, je n’étais pas arrivé là-bas pour rien. Donc, je me devais de réussir. Mais d’un autre côté, je n’en avais pas l’envie. Je sentais que je n’étais pas forcément à ma place« , confie-t-il.

Le déclic survient lors d’un retour en Polynésie pour les vacances, en avril 2024. Il réalise alors que sa place est au fenua. « Je me suis dit : ‘ok c’est bon. C’est ici que j’ai envie de construire ma vie. J’avais toujours eu envie de voir ailleurs. Et une fois arrivé ailleurs, quand tu prends conscience de comment fonctionne la société, quels sont les rouages, etc., tu te rends compte que, finalement, on n’est pas plus mal chez nous« , songe-t-il.

Plutôt que de poursuivre cinq ans d’études au Canada, décision est prise de rentrer à Tahiti… pour entreprendre. Il a 18 ans, et projette d’ouvrir son garage à lui. « Ma mère était un peu réticente, mais elle préférait me voir heureux, épanoui, que ma santé psychologique soit en bon état plutôt que de rester cloîtré 5 ans dans un endroit où je ne me sentais pas bien (…) Mais j’avais compris que le marché polynésien avait un réel potentiel« , explique-t-il.

L’ouverture de THT, un parcours semé d’embûches

Lancer une entreprise à 18 ans est un défi colossal. Heikua a beau s’en douter, la réalité le frappe tout de même. « Je ne m’attendais pas à tout ce qui allait me tomber dessus, reconnaît-il. Je m’inscris au SEFI pour la première fois. Ils se disent : ‘Le gars, il a 18 ans, il veut ouvrir une entreprise, c’est peu commun’. Ils étaient un peu sur leur garde. Mais une fois que j’avais tout expliqué, tout mis à plat, etc., le contact est bien passé« , se souvient-il.

Soutenu par son père, lui-même entrepreneur, il monte un dossier pour obtenir l’ICRA – aide à la création d’entreprise – et crée sa SARL. Grâce à des investisseurs, il réunit environ 2 millions de francs et décroche des subventions supplémentaires, notamment 90 000 francs par mois pendant deux ans. Un boulot à part entière qui lui prendra de longs mois, faits de persévérance et de doutes. Par chance, il peut prendre une place dans le garage de ses proches, alors que trouver un local à un prix décent est devenu quasiment impossible.

Autre difficulté : l’approvisionnement en pièces, alors qu’il commence avec « juste une caisse à outils« . Pour offrir une alternative à la commande en ligne, il contacte des fournisseurs métropolitains et va à leur rencontre, en décembre dernier.

Le coup de pouce TikTok

Il utilise également à bon escient les réseaux sociaux pour sa communication. Déjà actif et suivi sur TikTok depuis plusieurs années, il s’en sert pour promouvoir son garage : une vidéo introductive pour se présenter, et quelques tutoriels pour nourrir son feed. « Ça a bien marché dès le début, assure-t-il. Ça m’a apporté mon premier client, mais aussi des opportunités professionnelles. Un vendeur de scooters est entré en contact avec moi pour gérer mon service après-vente« .

Il parvient à toucher une clientèle plus jeune, curieuse de découvrir son approche moderne de la mécanique. Ses conseils aiguisent la curiosité de sa communauté, friande de personnalisation. « Il y a un vrai intérêt pour la mécanique ici, mais beaucoup n’avaient pas de point de repère fiable jusqu’à présent« , souligne-t-il.

@tahiti.help.them

pose d’une variation sport pour un client sur son PCX V5🏍️⚡️ #tahiti #pcx #fyp #nmax #mecanic #pourtoi

♬ son original – Tahiti Help Them

Installé temporairement sur la Mission en attendant son local définitif à Faa’a, Heikua ne manque pas d’ambition. Il prévoit d’affiner son expertise aux motos électriques et aux modèles deux-temps, tout en consolidant sa clientèle. « L’avenir est dans les véhicules électriques. Si je peux être un des premiers à proposer une vraie expertise sur ce type de motos, ce serait un énorme atout« , confie-t-il.

Il songe aussi à développer un réseau de garages partenaires dans les îles, pour répondre à la demande grandissante hors de Tahiti. « Beaucoup de jeunes des archipels veulent customiser leurs scooters ou simplement les entretenir correctement, mais ils n’ont pas toujours accès aux pièces ou aux bonnes compétences. Je veux changer ça« .

Son message aux jeunes Polynésiens qui hésitent à lancer leur business ? « N’écoutez pas ceux qui vous freinent. On m’a dit que j’étais trop jeune, que je n’avais pas l’expérience, que je devais avoir un diplôme. Mais si vous êtes sûr de votre projet, foncez« , lance-t-il. Pour lui, entreprendre jeune est un atout. « J’ai l’énergie, j’ai le temps d’apprendre et de me tromper. Et surtout, je fais ce que j’aime. Aujourd’hui, je vis de ma passion. Et j’aime ça« , conclut-il.

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