Pour Jean-Marc Regnault, la citoyenneté maohi risque d’être une « usine à gaz »

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Alors que le député Tematai Le Gayic a lancé une pétition, en début de semaine, pour obtenir la création d’une citoyenneté maohi, TNTV a interrogé sur le sujet l’historien Jean-Marc Regnault. L’universitaire souligne que ce projet n’est pas nouveau car déjà envisagé au début des années 2000. Il considère, en outre, que la mise en œuvre de cette citoyenneté « risque un peu d’être une usine à gaz ».

Publié le 01/09/2023 à 12:00 - Mise à jour le 01/09/2023 à 12:05

Alors que le député Tematai Le Gayic a lancé une pétition, en début de semaine, pour obtenir la création d’une citoyenneté maohi, TNTV a interrogé sur le sujet l’historien Jean-Marc Regnault. L’universitaire souligne que ce projet n’est pas nouveau car déjà envisagé au début des années 2000. Il considère, en outre, que la mise en œuvre de cette citoyenneté « risque un peu d’être une usine à gaz ».

TNTV : Une pétition vient d’être lancée par le député Le Gayic. La création d’une citoyenneté polynésienne, ou maohi, a déjà été envisagée à plusieurs reprises par le passé…

Jean-Marc Regnault : « Il y a très longtemps qu’il en est question. Si le statut qui avait été proposé par Lionel Jospin en l’an 2000 avait été accepté, on aurait eu la citoyenneté. On avait même eu un colloque à l’Université autour de ce thème. C’est donc une vielle idée qui ressurgit régulièrement parce que certains hommes politiques estiment que la Constitution actuelle musèle, en quelque sorte, le territoire qui ne peut pas prendre un certain nombre de décisions. Il y a un grand principe, c’est l’unité de la République. Les hommes sont libres et égaux en droit. Dans ‘liberté, égalité, fraternité’, il y a l’égalité entre les citoyens. Donc, ce qui est valable pour l’un l’est théoriquement pour l’autre. Qu’il s’agisse de l’emploi, ou de la terre, il est difficile de légiférer en donnant un statut différent à des individus en fonction de leur ethnie, de leur lieu de naissance et de différents critères ».

TNTV : A l’époque où cela avait été envisagé, cela devait se faire sous quelle forme ? Déjà par une modification de la Constitution ?

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Jean-Marc Regnault : « Cela nécessitait une modification de la Constitution. Mais, à l’époque, c’était dans l’air du temps puisqu’on venait de régler le problème de la Calédonie. Et en 1998, on a modifié la Constitution. Il y a eu un article dans la Constitution qui touchait la Calédonie (…) En gros, c’était : ‘la Constitution de la République est valable partout, sauf en Nouvelle-Calédonie’. À partir de là, les Calédoniens avaient la possibilité de prendre des mesures qui n’étaient pas forcément des mesures d’unité. On imaginait très bien qu’il puisse y avoir un titre dans la Constitution qui concernerait la Polynésie, à peu près identique à la Nouvelle-Calédonie ».

TNTV : Ces citoyennetés, dans d’autres territoires, qu’ils soient français ou pas, ont-elles été des réussites selon vous ?

Jean-Marc Regnault : « Si l’on prend l’exemple de la Nouvelle-Zélande, les maoris ne sont pas très nombreux mais, manifestement, c’est leur pays. Ils sont la population première et ils estiment avoir droit à un traitement particulier.  Ils ne pourront jamais obtenir de pouvoir gouverner car ils sont trop minoritaires. Donc, on a un droit, qui s’appelle plus ou moins le droit de l’autochtonie, qui permet à une partie de la population d’avoir des lois particulières, des droits de propriété particuliers et donc de vivre un peu en marge de la collectivité. En France, c’est presque impensable. C’est aussi le cas aux Etats-Unis ou en Australie, avec les minorités indiennes ou aborigènes. L’idée, ce serait qu’en Polynésie, on ait aussi un cas particulier. L’expérience a été faite en Calédonie et, apparemment, certains juristes ont écrit que cela n’avait pas donné la satisfaction qu’on attendait. Donc, ils regrettaient un petit peu d’être allés trop loin dans ce domaine. Je n’ai pas le détail mais il faudrait examiner en quoi les Calédoniens ne sont finalement pas très contents de ce cas particulier ».

TNTV : Le projet actuel exige une très longue durée de résidence en Polynésie. Était-ce le cas dans le projet du début des années 2000 ?

Jean-Marc Regnault : « La différence, c’est qu’à l’époque on a eu une discussion à l’Université, notamment avec le président Flosse. Cela tournait entre 5 et 10 ans de présence sur le territoire pour acquérir cette citoyenneté qu’il fallait demander. Elle n’était pas accordée automatiquement (…) Mais à l’époque où Lionel Jospin était premier ministre, il y avait une solidarité entre les socialistes français et les indépendantistes locaux. Une solidarité moyenne, quand même, il faut le dire. C’était une forme de discrimination positive. C’est-à-dire que la loi est la même pour tous, mais, certains étant moins favorisés par la loi que d’autres, il fallait trouver des mesures qui permettraient de rétablir une certaine cohésion. Récemment, on a vu aux Etats-Unis que la Cour suprême a cassé des décisions concernant les universités. Même des gens qui avaient été partisans de cette discrimination positive y sont un peu moins favorables aujourd’hui, car ils estiment que, de toute façon, si les étudiants sont bons, ils arriveront quand même à la réussite. C’est peut-être d’un grand optimisme. Mais dans ce débat sur la citoyenneté, 20 ans après, mon sentiment, c’est que beaucoup de choses se règlent d’elles-mêmes. Si vous prenez l’océanisation des cadres, en particulier dans l’enseignement, il y a eu 30 ans d’université. De plus en plus de jeunes Polynésiens ont obtenu le CAPES ou l’agrégation, ce qui fait que le nombre de professeurs expatriés diminue chaque année.  Cela montre que l’on n’a pas besoin de légiférer sur la protection de l’emploi local, car elle est automatique avec le développement de l’éducation. Donc le problème se pose moins. Dans le privé, c’est pareil. S’il y a de plus en plus d’ingénieurs et de techniciens, on ne voit pas pourquoi il faudrait légiférer. Souvent, l’évolution de la société règle le problème. Il reste le problème du foncier, mais en métropole, il se pose aussi. Actuellement, toutes les municipalités essayent de combattre le Airbnb, car les gens n’arrivent plus à se loger. C’est donc un vaste problème. Tous les pays du monde pratiquement y sont confrontés. Et ce n’est pas forcément en légiférant qu’on règle les problèmes ».

TNTV : Qu’est-ce qui différencie la citoyenneté de la nationalité ?

Jean-Marc Regnault : « Sauf erreur de ma part, dans le droit français il n’y a pas vraiment de distinction. Mais si l’on créé une citoyenneté en Polynésie, cela veut dire que le citoyen français de métropole qui vient ici n’a pas tout à fait les mêmes droits que le Polynésien de nationalité française qui aurait en plus la citoyenneté polynésienne. Mais si vous prenez un métropolitain : il a des droits et des devoirs en tant que Français. Il arrive ici, il n’a plus les mêmes droits. Un exemple : celui des locataires. En France, il a presque tous les droits par rapport au propriétaire. Ici, en Polynésie, c’est le propriétaire qui a pratiquement tous les droits. Il y a donc déjà, de toute façon, la spécialité législative, les lois du Pays, qui font qu’un citoyen français de métropole, quand il vient ici, n’a plus les mêmes droits qu’il avait à Paris ou à Lyon ».

TNTV : Donc, outre la symbolique, vous estimez que cette citoyenneté ne changera pas grand-chose à la situation actuelle…

Jean-Marc Regnault : « Si. Cela permettrait de légiférer et donc d’être intransigeant sur un certain nombre de critères, mais ça risque un peu d’être une usine à gaz parce que c’est quelquefois difficile. Cette année, vous avez des enseignants qui viennent de métropole. Parmi ces enseignants, qui sont considérés comme des expatriés, il y a des gens qui sont d’origine polynésienne, qui ne disent pas qu’ils sont d’origine polynésienne, et qui vont attendre 3 ou 4 ans pour demander leurs intérêts matériels et moraux. Donc, quand quelqu’un vient de métropole comme professeur expatrié, on n’a pas forcément la connaissance de ce qu’il est réellement. On va devoir créer un certain nombre de règles, de critères, pour déterminer que quelqu’un a droit à cette citoyenneté, mais c’est très compliqué avec le métissage, les allers et retours entre la métropole ou l’Amérique.  Qui, finalement, est plus citoyen que l’autre ? ».

TNTV : Le projet de Tematai Le Gayic a fixé des critères : être né en Polynésie, ou y avoir résidé plus de la moitié de sa vie et passer devant une commission, notamment…

Jean-Marc Regnault : « On verra très vite que ça se heurtera à un certain nombre de contestations, car certains diront : ‘moi, y a ceci ou cela’. J’ai une anecdote. Il y a quelques années, j’étais à l’Université au moment des inscriptions. J’ai assisté à une scène étrange. Il y avait un étudiant qui voulait s’inscrire. Il expliquait qu’il avait passé un an à Strasbourg dans une faculté de médecine et qu’il avait échoué. Il revenait donc en Polynésie pour suivre d’autres études. Il demandait, conformément au droit, si les études qu’il avait faites lui donnaient des équivalents qui lui permettraient de ne pas repasser toutes les UV. La secrétaire lui dit : ‘tu déposes un dossier et tu demandes des équivalences. Une commission verra si les résultats que tu as eus en métropole te permettent d’avoir une équivalence’. Le jeune lui a répondu : ‘oui mais comme je suis Polynésien, à quoi ai-je droit ?’. Les secrétaires ont failli avaler leur stylo. Il y a quelquefois une prétention : ‘je suis Polynésien donc j’ai droit à’ alors que pour des diplômes, il faut avoir la compétence et pas la naissance ».

TNTV : Tematai Le Gayic estime que les choses pourraient aller vite et évoque la fin de l’année 2024. Cet échéancier vous semble possible ?

Jean-Marc Regnault : « Quand il y a la volonté politique, tout est toujours possible. Maintenant, il faudra voir comment le Parlement, et aussi le Conseil constitutionnel, réagiront. Aux Etats-Unis, Joe Biden n’est pas libre de prendre les décisions qu’il veut, car la Cour suprême peut les annuler. En France, ce n’est pas aussi drastique, mais le Conseil constitutionnel dispose d’une marge d’appréciation importante (…) On est plus dans le flou qu’on ne le croit ».

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