Au moment des présentations, il y a ceux qui se contentent de donner un nom et une fonction, et ceux pour qui une phrase d’accroche n’est pas suffisante. Puatea Ellis est de ceux-là : mère de famille, maître nageur sauveteur, coach de natation, formatrice, compétitrice et ambassadrice de quelques marques parmi les plus connues au fenua… la liste est non-exhaustive. Point commun entre toutes ces activités rythmant son quotidien, la mer, terrain de jeu qui l’a vue grandir et qui la verra vieillir.
Elle sort d’une session de natation lorsque nous la rencontrons. Quelques jours auparavant, elle était aux Tuamotu, à Arutua – dont elle est originaire, pour participer à une mission de ramassage des déchets perlicoles sur le motu Tuaiva. Et quelques mois avant cela, elle participait à la finale de l’International Bodysurfing Association Tour organisée à Hawaii. Un agenda qui en dit long sur son lien vital à l’océan.
C’est pourtant dans l’eau chlorée des piscines que Puatea apprend à nager, sous l’œil exigeant de son papa, qui la lance très tôt dans la compétition. « Je n’ai jamais voulu faire de la natation, ça n’a jamais été mon sport favori. J’ai dit à mon papa que je voulais faire du surf comme mes grands-frères, mais pour lui c’était trop dangereux, raconte-t-elle. Taper dans les chronos, c’était plus pour faire lui plaisir, à lui et à ma mère » . Car oui, Putea nage vite, très vite. Un talent inné qu’elle n’explique pas vraiment. « Je nageais plus vite que les autres, je restais plus longtemps sous l’eau que les autres (…) l’esprit de compétition, pour moi, c’est plus dans l’amusement, s’éclater, ça marche beaucoup plus pour moi » . Elle s’appuie sur ses sorties en mer de plus en plus fréquentes, où le palme masque tuba deviennent sa seconde peau.
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Sa quête d’épanouissement la pousse à braver l’interdit parental et à partir surfer en catimini pour faire comme l’aîné de la fratrie, « plus tête brûlée que les autres » , connu pour rider du gros à Taapuna. « J’ai toujours aimé porter ses planches jusqu’à la plage, et je me suis toujours dit qu’un jour, j’irai aussi. Un jour, on allait surfer avec mes frangins, ils m’ont vu sur une vague énorme, ils m’ont hurlé dessus, et ils se sont dit ça y est, la petite soeur s’y est mise ! » , se souvient-elle. De Papenoo, elle passe vite à Sapinus et à Taapuna, où elle est encore l’une des seules femmes à faire du body surf, avec Prisca Amaru. Elle se forge une solide réputation dans plusieurs disciplines, vise de plus en plus gros et voit dans la sécurité des watermen – et waterwomen – un avenir professionnel.
Alerte à Teahupo’o
Puatea se tourne d’abord vers les sapeurs-pompiers pour se spécialiser dans les secours aux mers, avant de passer son Brevet National de Sécurité et de Sauvetage Aquatique (BNSSA). Elle devient maître nageur sauveteur : un diplôme qui, combiné à sa connaissance des spots de Tahiti et son aisance au jetski, lui permettront bien plus tard d’intégrer le cercle très fermé des water patrols à Teahupoo. Son premier gros test est la Shiseido Tahiti Pro 2023, épreuve reine du circuit de la World Surfing League (WSL). « C’est beaucoup d’appréhension, on ne sait pas dans quoi on va être (…) j’avais demandé à intégrer les équipes pour justement savoir comment ils s’organisaient au niveau de l’équipe. C’est ce qui m’a permis de me préparer au mieux pour les JO » , décrit elle.
En effet, dès qu’elle apprend que les JO de surf se tiendront à Tahiti, Puatea se donne les moyens d’y participer, à sa façon. Elle est désignée cheffe d’équipe taxis. « C’était encore une autre organisation, c’était une autre façon de faire. Tout le monde avait des appréhensions, mais en fin de compte, on sait notre rôle et on connait notre travail, assure-t-elle. C’est une aventure extraordinaire que j’ai vécu avec les gars, on a été une équipe soudée du début jusqu’à la fin. On a été gâtés » .
Moment fort de ces jeux, l’élimination de la reine des lieux et chouchou du public Vahine Fierro en 8es de finale par Johanne Defay. C’est Puatea qui récupère la rideuse de Teahupoo sur son ski, juste après sa défaite. « Ça a été dur. Elle était derrière moi, j’ai versé des larmes, je l’entendais pleurer derrière. Mais on avait comme instruction de ne pas interagir avec les athlètes. J’aurais voulu la prendre dans mes bras mais je ne pouvais pas » . Douloureux souvenir de ces Jeux, par ailleurs « magnifiques » à titre personnel.
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La qualification sur le gong de Fierro sur le CT en 2025, le 16 octobre dernier, est tout sauf une surprise pour Puatea. « C’est une machine. J’ai jamais vu ça cette manière d’être ce mindset qu’elle a. Elle est incroyable » , sourit-elle, avant d’adresser quelques conseils à sa protégée. « Il faut qu’elle s’éclate, qu’elle s’amuse et qu’elle aille chercher ce titre mondial. Moi et toute la Polynésie on est là pour la soutenir » .
To’a Hine et éco-warrior
La réussite des jeunes surfeuses polynésiennes, Puatea l’explique par le mana. Une connexion forte qu’elle a retrouvée en rejoignant il y a deux ans les To’a Hine, club pionner dans la pêche sous-marine au féminin. Si elle a grandi en pêchant dans les Tuamotu près de la ferme perlière de son papa, elle reste modeste devant les exploits des créatrices de l’association, Taina Orth et Onyx le Bihan. « C’est elle qui m’a envoyé un message, j’étais honorée. Je lui ai dis qu’elle était ‘badass’, on s’est super bien entendues » , confie-t-elle. C’est toute une communauté de nanas qui excelle dans les sports aquatiques. Être avec ces filles-là m’a permis d’être encore plus forte. On est une très belle communauté de femmes polynésiennes qui font des disciplines qui étaient réservées normalement aux hommes » .
Puatea apporte son expérience aux filles, qui le lui rendent bien. « Aujourd’hui, on s’identifie et on peut tout faire. Sauf qu’on ne nous a pas retiré le ménage, et j’ai la bouffe à faire le soir (rires) » . Comme avec les jeunes de Tamarii Punaruu, elle œuvre à la conservation de l’océan, indissociable de ses nombreuses activités. « Je commence toujours par la sensibilisation lors des stages avec les jeunes. Si on doit passer une semaine au même spot, il faut qu’on passe une semaine sur un spot propre. Ça a toujours été comme ça » , insiste-t-elle.
« Je suis optimiste. C’est obligé parce que sinon on va tous finir par nager dans le plastique »
Elle préfère voir le verre de la pollution des eaux du fenua à moitié plein, même si le défi est de taille. « La gestion des déchets est mieux gérée aujourd’hui, mais il y a encore beaucoup d’efforts chez les particuliers. Je crois que ça doit commencer par soi et c’est difficile parce qu’on est habitués à tout ça, à toute cette modernité (….) Il faut que tout le monde comprenne que s’il y a plein de plastique, on se gratte la peau » , pointe-t-elle . Puatea évoque la dermatite du plongeur ou l’éveil de conscience chez les perliculteurs, pollueurs parfois involontaires de leur environnement. « C’est à cause des houles, de la houle, des vagues, du vent. Ça se détache et ça se retrouve sur le motu d’en face. D’abord, ça doit commencer par soi-même » , conseille-t-elle. Mais je suis optimiste. C’est obligé, parce que sinon on va tous finir par nager dans le plastique » .
Une famille de défis
Premier récepteur de ces messages, son fils Mataiva, âgé de 14 ans. Il suit les traces de sa maman, sans pression, par pure envie de passer du temps avec elle dans l’eau. Il s’est notamment fait repérer pour sa traversée entre Tahiti et Moorea en novembre 2022, alors qu’il n’avait que douze ans, lors de l’événement Au i tai marama organisé par sa mère. L’éthique de travail fait partie de l’ADN des Ellis : Mataiva s’entraîne 10 heures par semaine. Et comme sa mère à ses débuts, il passe beaucoup de temps, deux jours par semaine en bassin. Comme elle, il a rejoint l’école des sapeurs-pompiers, où il entame sa 3e année.
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« Il est à l’aise un peu dans tout, il fait du body surf, il s’est lancé dans le basket, c’est mon pilote sur le jet ski, mon grabber à Teahupoo de temps en temps… Je l’ai aussi connecté à l’océan » , résume-t-elle. Connexion qu’elle développe également au sein de son école Back 2 ocean, où elle apprend natation, surf, prone, apnéé, et diverses techniques de sauvetage à ceux qui n’ont pas ses facilités dans l’eau.
Re-connexion aussi pour son papa, avec qui elle va nager tous les jours depuis deux mois. Une façon pour lui de retrouver de l’énergie, nécessaire depuis le décès de son épouse. « La mer salée, c’est un nettoyant spirituel ça nettoie l’esprit ça nettoie le corps. Si tu peux la boire, c’est encore mieux, des fois quand tu nages tu avales la tasse à force d’avaler, ça te purge ! » , rit-elle.
Donner et recevoir
La tasse, les triathlètes qu’elle entraîne les mercredi et samedi après-midi l’ont bue un paquet de fois. Comme les lifeguards de Hawaii, qu’elle a a cotoyés lors d’une formation spécialisée dans les grosses vagues. Puatea se réserve l’opportunité d’aller voir la Eddie Aikau, mythique compétition de surf de gros sur le North Shore d’Oahu. À l’occasion, elle en profiterait pour travailler de nouveau avec les water patrols locaux, avec qui ses échanges s’avèrent toujours porteurs. Avec les années, son carnet de contacts s’est bien rempli. Il lui permet d’imaginer de nouveaux projets, comme la traversée entre les îles Maui et Lanai, ou celle de la côte californienne à l’île de Catalina, de nuit avec sa partenaire américaine Grace Van der Byle.
Elle devra pour cela apprendre à nager au plus proche du requin tigre et, en ce qui concerne la Californie, du grand requin blanc. Nager avec le grand blanc, « un truc de fou » dont elle rêve. « C’est surtout le fait de le voir, voir son comportement et sentir l’énergie » , souligne-t-elle. Idem pour le requin tigre, qu’elle n’a vu que de loin pour l’instant. « Quand je vois toutes ces personnes qui plongent avec des requins tigres, qui en sont amoureux et qui sont là à les protéger… Je sais que je vais le faire. Quand, je ne sais pas. Mo,i ce qui va m’exciter encore plus c’est de me mettre à l’eau et de voir sous l’eau. C’est ça que j’ai envie de voir » .
Et elle y parviendra sûrement, pareille aux watermen capables de le lui apprendre. Mais Puatea restera unique en son genre. « Au départ, je me sentais seule et isolée dans mon domaine qui ne ressemble à rien, qui ressemble qu’à moi-même. J’ai eu du mal à me faire une place dans ce domaine, les activités de waterman. Il me fallait inventer un truc. Je me suis créée mon propre emploi, mon propre métier que personne ne peut venir faire. Je vis de ça aujourd’hui » , conclut-elle.