Tehani Withers : une Polynésienne pour protéger les oiseaux du fenua

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Elle fait partie des rares polynésiens formés en biologie et spécialisés dans les oiseaux. Enfant de la Presqu'ile, Tehani Withers est une amoureuse de la nature. Depuis 7 ans, elle s'emploie à restaurer les habitats de nos oiseaux endémiques. Un travail qu'elle exerce au sein de la société d'ornithologie de Polynésie.

Publié le 29/06/2023 à 5:07 - Mise à jour le 27/06/2023 à 17:06

Elle fait partie des rares polynésiens formés en biologie et spécialisés dans les oiseaux. Enfant de la Presqu'ile, Tehani Withers est une amoureuse de la nature. Depuis 7 ans, elle s'emploie à restaurer les habitats de nos oiseaux endémiques. Un travail qu'elle exerce au sein de la société d'ornithologie de Polynésie.

Née à Singapour, Tehani découvre la Polynésie d’où est originaire son père, à l’âge de deux ans. C’est à la Presqu’île que la famille s’installe alors. « J’ai grandi à Toahotu. Mon père travaillait au Sacré-Cœur de Taravao. »

La jeune femme s’intéresse très tôt à l’environnement. Mais, ce sont ses multiples voyages en Nouvelle-Zélande, pays de son grand-père, qui éveillent en elle l’envie de s’orienter vers la conservation des espèces : « Je suis souvent allée en Nouvelle-Zélande. Au début, parce que ma sœur était malade. Elle avait une leucémie, donc on y allait souvent. Quand tu habites en partie en Nouvelle-Zélande, tu vois bien la conservation du Pays, comment ils gardent les forêts etc. Ça m’a donné envie de faire ce même genre de métier et de ramener ça à Tahiti. Ça a toujours été une idée que j’avais : qu’on peut protéger l’environnement à Tahiti un peu de la même manière qu’en Nouvelle-Zélande. »

Après le baccalauréat, c’est naturellement que Tehani décide de quitter le fenua pour poursuivre ses études à Aotearoa. « J’ai fait 6 ans d’études : une licence sciences et tech durant laquelle j’ai fait des stages avec la SOP Manu. C’est comme ça qu’ils m’ont connue. Ensuite, j’ai fait mon master sur un des trois oiseaux de Nouvelle-Zélande qui ne vole pas, le takahé. C’est un oiseau icône. Mon master portait sur cet oiseau, son habitat, les sites restaurés de Nouvelle-Zélande. »

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Dès l’obtention de son master, la SOP Manu lui propose de venir travailler chez elle à Tahiti. « J’y suis depuis 2016. On m’a pris parce que j’étais la seule locale qui avait l’expérience dans la conservation des espèces, explique-t-elle. Il y a des Tahitiens qui ont fait des études en Nouvelle-Zélande, mais pas forcément dans la conservation des espèces. C’est assez rare. »

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Aujourd’hui, elle mène de front plusieurs projets : une campagne de dératisation par drones aux Marquises, ou encore une restauration de motu à Rapa… « On a un projet en cours sur les oiseaux marins, de restauration des motu et suivi du kaki kaki, le puffin de Rapa, endémique à l’ile. Je travaille aussi un peu aux Gambier. On a restauré des motu, donc je fais le suivi des oiseaux marins. Et un peu aux Tuamotu. »

Des projets soutenus par l’association BirdLife International, partenaire de la SOP Manu.

Tehani forme aussi les habitants des iles éloignées. Crédit Tehani Withers

Et, la professionnelle s’attèle aussi à former les habitants des iles : « On a des partenariats avec les associations locales, donc je les forme aussi sur le terrain sur le suivi des oiseaux marins. C’est pour qu’eux-mêmes puissent participer à la conservation de leur ile. On aimerait aider tout le monde, mais on doit choisir les projets et les îles où l’on va. Si on forme les associations qui prennent en charge tout ça, ça nous aide beaucoup. Comme ça on n’est pas obligés de venir à chaque fois. »

Elle apporte également, de temps en temps, son expertise à des associations extérieures.

« Une grande richesse que les gens ne connaissent pas bien »

Si la plupart des gens connaissent assez bien les espèces marines, peu s’intéressent à la faune terrestre. Pourtant, le fenua regorge de richesses selon la jeune biologiste : « On a beaucoup d’endémisme, beaucoup d’oiseaux terrestres endémiques. Il y a beaucoup d’oiseaux qui se sont développés par ile, qui sont devenus endémiques à une ile, comme les monarques de Tahiti ou le monarque de Fatu Hiva, ou le ptilope de Rapa. Ça, c’est une grande richesse que les gens ne connaissent pas bien.

Ensuite, il y a les oiseaux marins qui sont mieux connus grâce à la pêche, à la navigation traditionnelle. Pourtant, il y a quand même des espèces qui sont en danger et qui sont en train de disparaître. Que les gens ont oublié. »

Les oiseaux endémiques ont toutefois tous un « nom polynésien, même les oiseaux terrestres » relève Tehani. Preuve que ces espèces avaient leur importance dans la culture. « Et pour l’écosystème en tout cas, ils ont tous un rôle à jouer. Pour les oiseaux marins dont je m’occupe, les colonies font beaucoup de guano (excréments d’oiseaux, NDLR) qui font beaucoup de nutriments dans la mer, ce qui fait que l’écosystème marin est plus sain. C’est pour ça que souvent autour des motu, il y a beaucoup d’oiseaux marins. »

Tehani passe son temps entre Tahiti, les Marquises, Rapa, les Tuamotu et les Gambier. Crédit : Tehani Withers.

L’urbanisation, mais aussi l’introduction de nouvelles espèces, parfois envahissantes, ont entrainé la réduction des populations d’oiseaux, voire la disparition de certaines. Des changements qui pourraient entraîner un « déréglage dans notre écosystème. Et, même pour notre culture : des oiseaux disparaissent, ça veut dire que les noms polynésiens disparaissent aussi et ça veut dire qu’on a perdu une partie de notre culture », alerte Tehani.

Elle encourage les Polynésiens à s’intéresser davantage aux oiseaux : « Je pense que dans l’éducation, il y a encore beaucoup de travail à faire. Moi, ce que j’ai appris sur les oiseaux d’ici, c’est surtout quand j’ai commencé à travailler avec l’association Manu sinon je n’avais pas des connaissances… Et avec la pêche, c’est comme ça que ‘j’ai appris un peu les oiseaux marins. Mais sinon, des oiseaux marins, je ne connaissais rien. (…) Dans l’éducation, il faut qu’on connaisse mieux nos oiseaux, mais pas que : nos plantes aussi, et plus sur notre culture. »

Pour faire connaitre les oiseaux du fenua, une autre membre de la SOP Manu, Caroline Blanvillain, vétérinaire, a rédigé un guide. L’ouvrage a été publié l’an dernier aux éditions Haere Po.

« J’aimerais que l’on soit traités de la même façon que l’environnement marin »

Si la SOP Manu bénéficie d’une aide financière de la direction de l’Environnement, Tehani estime que beaucoup de choses pourraient encore être mise en place pour soutenir le travail de préservation entrepris. « Il faudrait mieux faire respecter la loi. Si c’est un site protégé, il faut vraiment s’investir sur le site protégé. Des fois on dit qu’on a un site protégé, mais il n’est pas forcément géré et c’est dommage. Il n’y a pas de suivi. Il y a des choses à faire, mais je comprends que ça ne se fait pas de suite (…) J’aimerais que l’on soit traités de la même façon que l’environnement marin. C’est vrai qu’on est un peuple de l’océan, mais sur le terrestre, il y a énormément de travail. (…) Il y a énormément de choses à faire sur les espèces envahissantes, sur les oiseaux. On est un peu overbookés dans l’association et donc s’il y avait un peu plus de fonds, plus d’aides, ça nous aiderait beaucoup. » En 2021, selon le bilan financier de la SOP Manu, 27% des recettes de la société provenaient de conventions de prestation, notamment avec le Pays. 5% de subventions locales.

S’intéresser aux espèces d’oiseaux n’est pas qu’une question de culture et d’environnement. Cela pourrait aussi permettre de développer l’écotourisme. Car, selon Tehani, « beaucoup d’ornithologues passionnés à l’international seraient prêts à payer beaucoup pour venir voir les oiseaux rares d’ici. »

La société d’ornithologie se dit par ailleurs ouverte aux bénévoles. Des bénévoles qui pourraient, éventuellement plus tard, intégrer la SOP Manu, comme Tehani : « On aimerait prendre plus de Polynésiens, mais c’est dur de trouver des candidats. Personne ne veut être bénévole alors qu’en Nouvelle-Zélande, lorsqu’on veut travailler dans la conservation, on fait beaucoup de bénévolat au début pour montrer qu’on a de l’expérience de terrain. Mais on n’a pas encore cet état d’esprit ici, à Tahiti. »

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