Un dictionnaire numérique bilingue sur l’histoire du CEP pour la faire « entrer dans la mémoire collective »

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La quête de vérité sur les essais nucléaires en Polynésie continue d'avancer. En 2018, une nouvelle impulsion a été donnée, aboutissant à l'opération Rekotica en 2021, puis à la déclassification d'archives désormais accessibles aux chercheurs et au grand public. Plus récemment, la création de l'Observatoire des héritages du CEP a marqué une nouvelle étape. Aujourd'hui, c’est un outil en ligne inédit et bilingue qui vient enrichir cette démarche en offrant une base de connaissances sur cette période. Il est le premier dictionnaire historique du Centre d'Expérimentation du Pacifique. Le co-directeur du projet, l'historien Renaud Meltz, était l’invité du journal de TNTV, ce jeudi. Interview.

Publié le 07/02/2025 à 9:34 - Mise à jour le 07/02/2025 à 10:10

La quête de vérité sur les essais nucléaires en Polynésie continue d'avancer. En 2018, une nouvelle impulsion a été donnée, aboutissant à l'opération Rekotica en 2021, puis à la déclassification d'archives désormais accessibles aux chercheurs et au grand public. Plus récemment, la création de l'Observatoire des héritages du CEP a marqué une nouvelle étape. Aujourd'hui, c’est un outil en ligne inédit et bilingue qui vient enrichir cette démarche en offrant une base de connaissances sur cette période. Il est le premier dictionnaire historique du Centre d'Expérimentation du Pacifique. Le co-directeur du projet, l'historien Renaud Meltz, était l’invité du journal de TNTV, ce jeudi. Interview.

TNTV : Quel a été le point de départ de ce projet, le Dictionnaire historique du Centre d’expérimentation du Pacifique ? 

Renaud Meltz : « Vous l’avez très bien dit, ça s’inscrit dans le temps un peu long de la recherche. En 2018, le Pays avait financé un programme de recherches qui s’appelait Histoire et Mémoire. Entre 2019 et 2021, on a constitué une équipe. En 2022, on est venu présenter les premiers résultats de ces travaux dans un colloque qui avait été très riche, très intéressant. On avait senti la demande sociale et on avait réservé une demi-journée de confrontation, d’échanges avec les profs qui sont très impliqués, depuis 2018, dans l’enseignement du fait nucléaire. Ils nous avaient dit : ‘nous, on est là pour enseigner l’histoire, pas pour la faire. Et on manque un peu de matériaux. Ce n’est pas qu’il n’y ait rien, mais il n’y a pas suffisamment’. Plusieurs d’entre nous avaient des références, des dictionnaires en ligne. On s’est dit : ‘voilà, ce qu’il nous faudrait, c’est un outil qui permette de proposer un état des lieux en temps réel des connaissances historiques’, surtout que maintenant que les déclassifications commencent, on va progresser sur ce front pionnier des connaissances. Et l’idée, c’est de diffuser largement dans un langage plus simple, dans un format numérique, donc accessible partout, avec une dimension pédagogique, donc beaucoup d’images, beaucoup d’iconographies qui donnent à voir, notamment, les sources de l’époque, les archives, pour que nos jeunes puissent comprendre comment on écrit l’histoire et pour que les professeurs du secondaire, du supérieur, n’importe qui, à vrai dire, puissent se faire une opinion par lui-même sur la base de notices qui sont rédigées par des spécialistes et dans un cadre très formel, très scientifique. C’est-à-dire qu’on diffuse des connaissances, mais elles sont faites selon les critères des revues savantes les plus exigeantes ». 

TNTV : Ce dictionnaire est en ligne, bilingue, français, tahitien et en constante évolution. Pourquoi avoir choisi ce format numérique, mais surtout bilingue ? 

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Renaud Meltz : « Bilingue, en fait, on n’y avait pas forcément pensé d’emblée, et pourtant, quand on fait nos enquêtes sur le terrain, parce qu’on va voir les archives, mais on va aussi faire des entretiens avec les anciens travailleurs, on voit bien qu’il y a cette question de la langue. On voit bien que nos anciens parlent plus facilement, évidemment, le tahitien que le français. Quand on a lancé notre Observatoire des héritages du CEP, en novembre 2023, ici, devant les autorités politiques, les associations, etc., ils nous ont dit : ‘mais attendez, c’est bien, votre projet de dictionnaire, on l’aura présenté, mais vous nous laissez des miettes, vous voulez faire juste des résumés en tahitien et les notices en français ? Ah non, non, non’. On s’est dit : ‘ils ont raison’. On a été tapés à toutes les portes, notamment au CNRS, qui nous finance assez généreusement les traductions. Je pense que c’est important, y compris pour ces anciens travailleurs qu’on interroge, qui font l’effort de nous raconter leurs souvenirs, parfois avec leur petit-fils. Ce qui me frappe beaucoup quand on fait nos entretiens avec ces anciens travailleurs, c’est qu’ils vont utiliser leurs petits-enfants comme traducteurs pour les aider un petit peu à dire en français leurs récits ». 

TNTV : Et eux-mêmes découvrent l’histoire…

Renaud Meltz : « C’est exactement ça. Les petits-enfants n’ont jamais entendu leur grand-père en parler. Et on se dit qu’avec un site français et tahitien, ça va aussi favoriser la circulation, l’échange, même au sein des familles, des générations. ‘Voilà, grand-père, t’as vécu ça, qu’est-ce que tu penses de cette notice qui raconte la façon dont on travaillait sur tel atoll, sur les sites, etc’ ». 

TNTV : Comment espérez-vous qu’il soit utilisé par le grand public ? 

Renaud Meltz : « Déjà, c’est accessible de n’importe où, et je pense que ça peut intéresser. Mon obsession, bien sûr, c’est que les Polynésiens puissent connaître leur histoire. Mais j’aimerais aussi que les Français de la France continentale la connaissent, parce que ce qui est fou, si vous voulez, c’est qu’il y a des notices qu’on fait sur des acteurs qui sont complètement méconnus, complètement oubliés. Bon, bien sûr, le général de Gaulle, on connaît, mais il y a une notice, par exemple, sur le général Thiry, qui, à lui tout seul, a choisi quasiment le site des Tuamotu, qui a décidé à lui tout seul de ne pas alerter les populations quand le premier essai Aldébaran a eu des retombées sur les Gambier. Et cette figure historique est complètement méconnue des Polynésiens, mais aussi des Français. Ce que j’aimerais, en fait, c’est que ce soit un outil qui soit utilisable partout, y compris à l’étranger, pour que ça fasse entrer dans la mémoire collective cet épisode tahitien ou franco-tahitien d’une histoire qui est, en fait, une histoire globale. Cela concerne toute la période de la Guerre froide, et c’est une histoire, en fait, même internationale ». 

TNTV :  Et ce projet va continuer à s’enrichir au fil du temps….

Renaud Meltz : « C’est aussi l’intérêt d’un outil numérique, c’est-à-dire que les notices, on va en rajouter, on va parfois les mettre à jour, si des nouvelles archives nous apportent des nouvelles informations. C’est un processus assez long, parce qu’elles sont écrites ou co-écrites, vérifiées, relues anonymement, mais ça prend du temps. Mais du coup, ça va continuer à produire au fil de l’eau des nouvelles notices, et on est très contents de penser que ça continuera longtemps ».

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