Vaea Dang : d’agent de l’administration à artiste aux États-Unis

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Un burn out l'a poussée à se réinventer. Employée dans l'administration durant plusieurs années à Tahiti, Vaea Dang est désormais artiste à plein temps. Cette enfant du fenua vit dorénavant aux États-Unis. Elle expose pour la première fois ses œuvres dans l'État de New York.

Publié le 26/04/2025 à 16:38 - Mise à jour le 26/04/2025 à 16:51

Un burn out l'a poussée à se réinventer. Employée dans l'administration durant plusieurs années à Tahiti, Vaea Dang est désormais artiste à plein temps. Cette enfant du fenua vit dorénavant aux États-Unis. Elle expose pour la première fois ses œuvres dans l'État de New York.

« Je crois que j’ai toujours aimé dessiner » confie Vaea Dang. Pourtant, il aura fallu du temps pour qu’elle laisse ses talents s’exprimer. « Dans ma tête, il fallait avoir un travail normal et puis l’art, c’est cool, mais je ne me sentais pas forcément légitime, en tout cas, à faire ça. »

« J’ai toujours eu des métiers farfelus en tête » confesse la désormais artiste. Enfant, elle se voyait « éboueur des mers », après avoir lu un Mickey Magazine. « Ma mère m’a dit que ce n’était pas du tout un métier ». Puis, colorieuse de dessin animé, et même travailler près des volcans. « J’avais besoin d’aventures. J’avais besoin d’histoires, je crois. »

Son baccalauréat en poche, elle s’oriente finalement vers un cursus plutôt classique. Elle choisit la littérature. « Comme ça, j’avais la meilleure excuse du monde pour passer ma vie à lire des livres et à lire des histoires. Mais je n’avais aucun plan. Je savais que je ne voulais pas être prof. Mais je ne savais pas très bien ce que je voulais faire. »

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Elle décroche sa licence et passe ensuite un concours d’entrée dans l’administration, « par hasard ». « J’ai vu une annonce dans les journaux qui disait « l’administration recrute ». Et en fait, j’ai des copains qui étaient en droit à l’époque. Et on a dit, vas-y, on va essayer. Et tout le concours, c’était, globalement, c’est des questions de droit. Moi, je n’avais jamais fait de droit. Je n’avais jamais ouvert un livre. Je n’avais zéro idée. Mais bon, je sais apprendre, je sais lire. Je me suis dit, je vais essayer. Et puis, du coup, j’ai eu le concours. »

En 2017, un burn out

Vaea débute donc une carrière dans l’administration. Elle y passe plusieurs années, jusqu’à ce que tout bascule, en 2017. « J’ai fait un burn out. Je n’étais plus capable de voir un ordinateur, je nétais plus capable de travailler dans un bureau… ce n’était plus possible. Et coup, la solution, ça a été d’utiliser mes mains, mon corps pour être dans du travail un peu physique et sortir de ma tête. Et de fil en aiguille, mais sans que ce soit prévu du tout, j’ai créé Concrètement Design, en commençant à ramasser trois cadres de vélos au bord de la route et en me disant, je vais peut-être faire un truc. (…) J’ai démonté des palettes, j’ai fait des trucs comme ça, mais je n’ai rien calculé ».

« J’ai des copains qui m’ont dit « dis donc, j’aimerais bien faire un burn-out comme toi ». Ça a été une renaissance ».

Concrètement Design, sa start up de mobilier et objets upcyclés (issus de la récupération de matériaux divers) voit donc le jour. Vaea intègre l’incubateur Prism et entame une nouvelle aventure. « Je pense que ça a répondu aussi à un besoin qui n’était pas que le mien à l’époque. C’est arrivé quasiment au moment du Covid. On était tous en train d’essayer de chercher des solutions, de comment on fait local, comment on fait autrement, comment on revalorise ce qu’on a autour de nous, comment on le revisite pour que ce soit utile. Ça m’a fait du bien. Ça m’a soignée, nourrie. J’ai rencontré des gens formidables. (…) Tout ça, ça a pris des proportions complètement dingues que je n’avais pas du tout anticipées. J’ai des copains qui m’ont dit « dis donc, j’aimerais bien faire un burn-out comme toi ». Ça a été tellement une renaissance ».

Concrètement Design tiendra 3 ans avant que la réalité économique ne rattrape sa créatrice. « J’ai dû fermer la société parce que ce n’était pas viable économiquement, tout simplement. Je suis retournée dans l’administration. »

Loin de le vivre comme un échec, Vaea renoue avec un univers qu’elle connait et apprécie. « J’aime quand même le service public. Je trouve que c’est une chouette mission, qu’il y a des gens formidables dans l’administration qui essayent vraiment de faire pour le bien commun. Donc, je n’avais quand même pas l’impression de me renier. »

Elle y passe 3 ans et, en parallèle, décide de s’investir un peu plus dans ce qui l’anime vraiment : la création. Elle se lance un défi : dessiner une esquisse par jour durant 1000 jours. « Je me suis dit, un peu comme les japonais, si je fais un trait pendant mille jours, au bout de mille jours, le trait sera meilleur. C’est vraiment partie de ça. Parce que j’avais rangé les outils. Je vivais dans un appartement, je ne pouvais pas sortir la meuleuse. Mais il fallait que je crée quand même. Il fallait que j’exprime des trucs. » Elle se tourne vers des plateformes en ligne, suit des cours. « Au fur et à mesure, plus j’y allais, plus je découvrais des techniques, plus je trouvais ce qui me correspondait, plus j’ai rencontré aussi des gens qui avaient les mêmes centres d’intérêt que moi. »

Une nouvelle vie

En juillet dernier, Vaea part en vacances avec sa fille direction les États-Unis où elle rejoint sa compagne. Au bout d’un mois, son séjour prend finalement une autre tournure : « Ma femme m’a demandé un mariage en fin août ». Un nouveau chapitre de sa vie se dessine alors. Vaea décide de s’installer auprès de sa bien-aimée, à Tivoli dans l’État de New York. C’est l’occasion de se réinventer professionnellement, une nouvelle fois, et de se concentrer sur sa passion.

« Je ne sais même pas comment faire en sorte que ce soit viable. Mais c’est comme un appel qui est plus fort que moi. J’ai la chance d’avoir des conditions de vie qui font que c’est possible. J’ai la chance d’avoir des gens qui me soutiennent, d’avoir une famille qui me soutient. Donc, ça, c’est formidable parce que je peux aujourd’hui faire que ça à plein temps. (…) »

« C’est comme un appel qui est plus fort que moi.« 

Vaea a démarché plusieurs ateliers et galeries. La semaine prochaine, elle donnera un atelier d’upcycling à l’occasion de l’Eco Art Week. Mais surtout, elle dessine, en noir et blanc, au feutre fin. Des bâtiments, essentiellement. « En fait, ce qui s’est passé, c’est qu’en arrivant ici, je n’avais plus mes repères. Je n’avais plus ma maison. Je n’avais plus tout ce qui fait la Polynésie et qu’on connaît par cœur. Et du coup, j’avais un œil complètement neuf. Je me suis mis à regarder les bâtiments autour de moi, les maisons autour de moi. L’architecture est très différente. J’ai trouvé des maisons qui étaient hyper mignonnes. Et du coup, j’ai commencé à dessiner des maisons. J’ai commencé à dessiner toutes les maisons de mon village, dans la rue principale du petit village où je suis. En me disant, en fait, de l’extérieur, c’est juste une maison, mais évidemment que ce sont des vies de famille, des histoires. Et moi, je suis très curieuse de connaître les histoires des gens, leur attachement aux choses, leur attachement aux générations qui succèdent dans les maisons. »

L’artiste a reçu plusieurs commandes. « Je dessinais des restaurants et certains m’ont dit « Ah, mais c’est notre restaurant préféré avec ma femme et puis le restaurant est fermé ». Donc les gens m’ont acheté des retirages, en fait. Ils faisaient des réimpressions de ce restaurant-là en me disant « Ah, mais après, est-ce que tu pourrais dessiner tel restaurant ? » parce qu’on l’adore, c’est là qu’on va bruncher le dimanche. » J’adore l’affect, l’émotion qui est rattachée à un bâtiment, à une maison. »

Vaea expose en ce moment pour la première fois à New York, un travail qui lui tient particulière à cœur. « Il y a quelque temps, j’ai un ami ici qui est décédé. C’était la première personne à qui j’ai parlé ici. C’est lui qui a fait nos alliances. On était devenus copains et quand il est décédé, ça m’a fait bizarre parce que je ne pensais pas, évidemment, qu’il partirait. (…) J’ai demandé à passer du temps dans son atelier et en fait, j’ai dessiné ses outils. Donc, chaque fois que je dessinais ses outils, j’avais l’impression d’avoir une espèce de dialogue avec lui. (…) J’ai fait quatre dessins. Et ces quatre dessins-là sont actuellement en exposition dans une galerie. »

Vaea déborde d’idées et de projets : un espace partagé, un lieu de déconnexion où remettre l’humain au centre des choses. Et un livre peut-être. Elle rêve aussi de faire des liens entre le village dans lequel elle vit, Tivoli, et le fenua. « J’ai des projets avec soit le lycée ici, soit la bibliothèque du village. On voudrait faire une sorte de jumelage Tivoli-Tahiti pour les étudiants de lycée parce qu’en fait, certains étudiants du lycée ici apprennent le français. Évidemment, à Tahiti, les enfants apprennent l’anglais. Et donc, j’adorerais faire un partenariat avec une classe, un établissement, pour que les enfants aient une sorte de correspondant et qu’on puisse échanger sur nos différences culturelles, mais aussi nos ressemblances culturelles et apprendre de l’autre. »

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