Au fenua, la biodiversité est menacée plus qu’ailleurs et le domaine public maritime est attaqué de toutes parts.
Parmi les multiples causes impactant le littoral : la construction de remblais qui a abouti aujourd’hui à une situation qualifiée de « grave » par la CTC. D’autant que sur les 700 édifices de ce type recensés au fenua, la moitié a été réalisée sans aucune autorisation, donc illégalement.
Pourtant, selon la CTC, l’impact de ces constructions, qui accentuent la pression sur les écosystèmes et participent à la privatisation du domaine public, n’est pas « une priorité » pour le Pays.
C’est pourtant à la Polynésie qu’incombe la charge d’effectuer des contrôles auprès d’éventuels contrevenants. En cas d’infraction constatée, elle se tourne vers le tribunal administratif qui, lui, prononce les sanctions. De fortes amendes mais pas seulement
« Ils peuvent demander à ce que le contrevenant démolisse les constructions édifiées illégalement ou rembourse le pays des frais de remise en état des terrains », explique le président du tribunal administratif, Jean-Yves Tallec.
Ces contentieux sur le domaine publics relatifs aux remblais, pontons ou murs illégaux, appelés contraventions de grande voirie, ont aujourd’hui drastiquement diminué. « Si on remonte quelques années en arrière, on constate que le contentieux des contraventions de grandes voiries représentaient une cinquantaine voire une centaine de dossiers par an. Ça représentait donc entre 5 à 10 peut être 15% maximum du contentieux global du tribunal. Or, depuis les deux dernières années et notamment cette année 2017, c’est un contentieux qui a tendance à devenir marginal. Nous n’avons enregistré depuis le début de l’année que deux requêtes en matière de contravention de grande voirie. »
Est-ce le résultat d’une volonté politique ou d’un plus grand respect de la réglementation ? Pour la Direction des affaires foncières que nous avons contactée, la seconde hypothèse s’impose. Et c’est aussi l’avis de ce directeur d’un bureau d’études environnemental. « Il y a peut-être un effet de l’interdiction de faire des remblais littoraux depuis plus de 6-7 ans. Il me semble que c »est un arrêté du conseil des ministres en 2010 qui interdit sauf cas très spéciaux les remblais sur le littoral », avance Charles Egretaud, directeur bureau d’études Pae Tai-Pae Uta.
Si les remblais sauvages ne semblent plus d’actualité, d’autres constructions illégales continuent de pousser le long du littoral. « Se pose aussi la question de tous les murs et ouvrages en bord de propriétés privés, qui sont laissés de côté, dont on ne considère pas malheureusement l’impacte sur le milieu naturel. (…) Ça impacte le trait de côte, c’est-à-dire qu’on renforce l’énergie des vagues dans le lieu de déferlement et on érode totalement les plages et littoraux. Il y a une destruction d’un patrimoine, destruction de plage, de lieu de loisir et un peu de confiscation puisque souvent la réalisation de ses ouvrages s’accompagne de la fermeture des accès. On ne peut plus accéder à la mer en Polynésie française. »
Et même en cas de condamnations, les sanctions, notamment la remise en état des lieux, sont rarement mises à exécution.
Au-delà des occupations illégales, le Pays pilote lui aussi des chantiers de remblayage, d’intérêt public. Des travaux bien souvent d’envergure qui ont également un impact. Et il accorde aussi des autorisations d’occupation du domaine public maritime pour les professionnels comme les particuliers. Parfois pour des propriétés en bord de mer.
Et là, les autorités n’ont « aucune excuse » selon une spécialiste du sujet, Annie Aubanel, dans un article publié l’année dernière dans une revue spécialisée : Ces autorisations « obéissent à des considérations moins électoralistes que liées aux privilèges des « grandes familles » et à un laxisme politique que rien ne justifie, en tous les cas pas l’intérêt public », écrit-elle.
Aujourd’hui, la pression sur le littoral de Tahiti, Moorea et de certaines îles, est telle que la bataille semble perdue d’avance. « C’est trop tard, on ne peut pas revenir en arrière. Il faudrait peut-être assumer ce passif, ces erreurs et rétablir au moins rétablir les accès à la mer, la circulation sur le rivage, les plages », estime Charles Egretaud.
Pas sûr pourtant que les choses évoluent dans ce sens. L’an dernier, le Pays a adopté une loi permettant de déclassifier les remblais du domaine public pour permettre à leur occupant, en règle, d’en devenir propriétaires. Et selon nos informations, il envisagerait d’étendre la mesure aux occupants qui eux se sont installés de façon illégale. Une position « qui laisse perplexe », dixit l’étude d’Annie Aubanel.
Reste que améliorations sont tout de même constatées sur certains points mais les gouvernements successifs ne semblent pas avoir défini une réelle ligne directrice. A plusieurs reprises depuis 2010, les autorisations temporaires d’occupation du domaine public maritime ont ainsi été suspendues. Avant d’être autorisées de nouveau.
Entre protection de l’environnement en ces temps de changement climatique et développement, le Pays cherche encore sa voie.
(Reportage JB Calvas)