Le drame est presque hebdomadaire sur les routes de Tahiti. Une soirée bruyante. L’arrivée des gendarmes. Une fuite désordonnée, avec des jeunes alcoolisés qui s’entassent dans les voitures. Un jeune majeur trop confiant, trop rapide sur la route de ceinture.
Les passagers tentent de le raisonner, se souvient Destiny Tere : « Ralentis, ralentis ! Là il nous sort un ‘je gère’ et cinq secondes après, il y a eu l’accident ».
Le conducteur est inconscient, la mâchoire fracturée sur le volant. D’autres sont blessés. Destiny ne le sait pas encore, mais elle est la plus gravement touchée.
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« J’ai rouvert les yeux, j’étais à moitié éjectée du véhicule. J’avais les jambes sous le siège du conducteur et… (larmes) le haut du corps pendu en dehors de la voiture. J’avais la tête en bas. Et du coup, je ne comprenais pas. Enfin, j’avais compris quand même qu’on avait eu un accident. J’appelais à l’aide. Puis au moment où j’ouvre la bouche, je me rends compte que j’ai énormément, mais énormément de mal à respirer. Du coup, je dis ‘à l’aide, à l’aide’ (à voix basse). J’ai l’impression que personne ne m’entend… »
Les blessés attendent une heure l’arrivée des secours. D’autres jeunes, venus de la même soirée, les ont mobilisés sur un accident à Mahina. Une fois prise en charge, Destiny sombre dans le coma. Vers cinq heures du matin, sa mère reçoit un appel. Paniquée, elle arrive à l’hôpital :« On nous annonce que Destiny a fait un AVC, qu’elle est plongée dans un coma artificiel pour éviter que son corps souffre trop et qu’elle est tétraplégique et qu’elle risque peut-être de ne pas remarcher ou même de ne pas se réveiller. Donc là mon monde s’effondre. Je m’effondre » se rappelle Raina Tuterarii.
Le diagnostic est lourd : œdème pulmonaire, œdème cérébral, AVC, clavicule cassée. Et des lésions cervicales qui ont affecté sa moelle épinière. Il faut une opération en urgence. Elle durera trois heures. Sa famille attend, impuissante. Comme sa sœur, en métropole.
« Je me sentais très seule, je me sentais impuissante, inutile. Ça a été très compliqué pour moi de gérer mes émotions à ce moment-là » témoigne Déborah Tere. A 22 ans, elle a tout quitté pour revenir à Tahiti, s’occuper de sa sœur.
Une vingtaine d’heures après l’accident, Destiny émerge du coma. Les jours suivants restent flous. Elle ne saisit pas encore l’ampleur des conséquences. Jusqu’à ce qu’un médecin lui annonce qu’elle est tétraplégique.
« Et là, je tombe de très haut. Je me dis ‘moi, je voulais juste rentrer chez moi’[…] Je commence à me dire en fait, je ne veux pas. Je ne veux pas vivre, je ne veux plus vivre. Je ne veux pas vivre comme ça. Je ne veux pas vivre handicapée. »

Ces idées noires s’estompent peu à peu au centre de rééducation Te Tiare, où nous l’avons rencontrée. C’est d’abord son ergothérapeute qui l’encourage à se battre, mais aussi son kiné et les médecins. Un travail de longue haleine, qui l’aide à retrouver confiance en elle.
D’autant plus qu’elle progresse très vite. Sa tétraplégie est incomplète, la moelle épinière est touchée, mais pas sectionnée, ce qui lui permet de retrouver un peu de mobilité. Avec son ergothérapeute, elle parvient à écrire quelques mots, à se servir à boire, ou à se maquiller seule.
Avec un double but : gagner en autonomie, mais aussi en confiance. Son ergothérapeute, Karine Dalmat, veut lui ouvrir des projets d’avenir : « pouvoir s’investir professionnellement sur une formation, pouvoir conduire un véhicule, ça va être des objectifs qui vont être travaillés tout au long de sa prise en charge. »

Si Destiny parvient aujourd’hui à retrouver son lumineux sourire, c’est grâce à sa famille, toujours présente et très joyeuse. Un soutien de chaque minute. Sa mère était caissière, mais elle est en arrêt et se consacre entièrement à sa fille.
« C’est notre combat à moi, sa mère, à sa sœur, à son beau-père qu’elle considère comme son père. C’est un combat lourd, mais on y arrivera. On y croit, fortement. On croit en elle. On croit en nous » assure-t-elle. Avec, dans la voix, des sanglots, mais surtout beaucoup d’amour.