Une douzaine de victimes ont fait le déplacement au palais de justice, ce mardi, pour assister au procès de celui qui leur promettait de devenir propriétaires terriens. En 2012, ce retraité de Raiatea, accessoirement commerçant, avait jeté son dévolu sur 182 hectares de terre agricoles à Tahaa pour un montant de 130 millions de francs. Pour financer l’acquisition, il avait créé une société civile immobilière (SCI) et réussi à attirer une trentaine d’investisseurs, sans que lui ne verse d’argent au pot commun. A chacune des ventes de parts sociales, il percevait en revanche une commission de l’ordre de 20%.
Mais le lotissement agricole promis a fait long feu. Le chantier d’aménagement des lieux n’a pas avancé. Il faut dire que les prestataires qui intervenaient étaient rarement payés. Il effectuait donc lui-même les « travaux » sans rien n’y connaître. La vaste parcelle de terre a également fait l’objet d’un contentieux foncier retardant encore l’avancement du projet.
Mais les acquéreurs n’étaient pas informés de la situation puisque la SCI ne tenait pas d’Assemblée générale. Et il n’y avait aucune tenue de la comptabilité, ni facture justifiant les différentes dépenses. En outre, l’entrepreneur n’apparaissait pas comme le gérant en titre. Et pour cause : il était sous le coup d’une interdiction de diriger toute entreprise sur décision de justice.
Il avait donc fait appel à l’une de ses connaissances, un « prête-nom », pour endosser ce rôle, sans que celle-ci n’intervienne réellement au sein de la SCI. Ce mardi, cette femme comparaissait à ses côtés comme complice.
Au total, le préjudice, pour les victimes, est évalué à 125 millions de francs. A la barre, l’entrepreneur a nié l’ensemble des faits qui lui étaient reprochés mettant les retards d’avancement du projet sur le compte des revendications foncières auxquelles il avait dû faire face.
Quant aux sommes détournées, il a assuré qu’elles avaient en réalité servi à payer les différents prestataires…uniquement en liquide. « Il faut vous croire sur parole car il n’y a pas de comptabilité, pas de facture. Rien », l’a tancé le président du tribunal.
« Je suis désolé. Je dis oui à tout le monde sans faire attention. Je donne tout », a osé le sexagénaire, sèchement coupé par le magistrat : « Non. Vous ne donnez rien, c’est ça le problème (…) Vous n’avez jamais investi dans une seule de vos affaires. Vous ne prenez aucun risque. C’est l’argent des autres ».
L’avocat des victimes, Me Smaïn Bennouar, a enfoncé le clou : « Certains de mes clients ont mis pratiquement toutes leurs économies en toute confiance. Il les a arnaqués, tout simplement. C’est la carricature de l’abus de confiance à tous les niveaux. Le prévenu conteste les faits avec obstination. C’est insupportable ».
« On n’est pas dans un problème d’un mauvais gérant d’entreprise qui n’a pas eu de chance. Il est incapable de justifier l’utilisation des fonds. Il fait ça depuis 20 ans. Il a l’art d’embrouiller les uns et les autres », a renchéri la procureure. Depuis les années 2000, l’homme a en effet été condamné à plusieurs reprises pour des faits du même type.
Mais pour son avocat, Me Dominique Antz, ce projet de lotissement était un bon investissement, sur le papier « C’est une excellente affaire pour ceux qui ont acheté », a-t-il estimé, « à un moment, il n’y a plus eu d’argent car les acquéreurs n’ont plus eu confiance. Si les travaux ont été interrompus, c’est parce que certains n’ont pas payé ».
Une thèse écartée par le tribunal. Celui-ci a d’ailleurs été largement au-delà des réquisitions de la procureure en condamnant l’entrepreneur à 2 années de prison ferme avec mandat de dépôt à Tatutu. Les parts qu’il détenait dans la SCI ont été confisquées ainsi qu’une habitation évaluée à 41 millions de francs lui appartenant. Il devra aussi rembourser les membres de la SCI à hauteur de 125 millions de francs. Le tribunal a enfin prononcé l’interdiction à vie de gérer toute entreprise. Sa complice a quant à elle écopé d’un an de prison avec sursis.