Réforme fiscale : « coup de frein dans l’immobilier » et « hausse des prix »

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Après les architectes, c’est au tour de l’immobilier et du BTP de tirer la sonnette d’alarme. Soutenu par les organisations patronales, les professionnels du secteur dénoncent « les effets contre-productifs » de la réforme fiscale sur les grands projets et sur le logement. Des annonces qui, selon les professionnels, ont déjà mis un coup de frein majeur sur les acquisitions en cours.

Publié le 04/12/2023 à 5:00 - Mise à jour le 04/12/2023 à 17:23

Après les architectes, c’est au tour de l’immobilier et du BTP de tirer la sonnette d’alarme. Soutenu par les organisations patronales, les professionnels du secteur dénoncent « les effets contre-productifs » de la réforme fiscale sur les grands projets et sur le logement. Des annonces qui, selon les professionnels, ont déjà mis un coup de frein majeur sur les acquisitions en cours.

Il y avait le centre aquatique à Taunoa, l’institut du cancer, le lycée de Opunohu, ou encore le centre d’hébergement de Vaininiore. Soit près de 10 milliards de Fcfps d’investissements lourds tombés à l’eau, alors que les appels d’offres étaient lancés et les entreprises sur les rangs. À cela s’ajoutent les mesures de la réforme fiscale, venues semer la panique dans l’immobilier et en bout de chaîne, dans le BTP.

Selon le représentant de la chambre syndicale du BTP, Jérôme Chung, ces effets d’annonce ont provoqué « des arrêts et des annulations de chantiers publics (…) Ce sont des signaux qui ne sont pas très bons pour le bâtiment. On craint très fortement un ralentissement de l’activité au second semestre 2024, et des licenciements dans les chantiers publics« .

Hausse des coûts des matériaux, du prix du foncier et de l’emprunt : dans un contexte déjà marqué par une forte inflation, les professionnels mettent en garde contre un coup d’arrêt sans précédent sur la production de logements neufs. La contribution de solidarité sur le patrimoine immobilier (la LP 1 finalement renvoyée à fin 2024) ou les 5 ans d’habitation principale pour les achats neufs (LP 18), cachent selon eux de nombreux effets pervers.

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Si l’idée peut sembler bonne, la facture ne serait pas du tout la même d’une famille à une autre met en garde la chambre des notaires. « On taxe à partir d’une base de donnée fiable, celle de l’impôt foncier, mais on peut se retrouver à taxer des gens qui n’ont pas de revenu et qui ont hérité d’un patrimoine improductif » fait remarquer le président de la chambre des notaires, Jean-Philippe Pinna. « Là où il faut faire attention aussi, c’est sur les investisseurs qui n’ont pas forcément les moyens d’assumer ce nouvel impôt en plus de l’impôt foncier, la CST et l’impôt sur les transactions, sauf à répercuter ce surcoût sur les loyers ».

« Ces mesures-là viennent condamner définitivement beaucoup de programmes immobiliers. »

Jean-Philippe Pinna, président de la chambre des notaires

Même réserve sur la LP18 concernant les acquisitions en neuf. « Le texte impose d’y habiter pendant cinq ans. Beaucoup de personnes achètent pour loger leurs enfants, pour faire du locatif. S’ils le font, ils vont payer 12% au lieu de 6% » déplore le responsable. Une hausse qui vient donc « casser la logique d’investissement« .

Crédit photo TNTV

Après la loi des 1000% et la taxe sur la plus-value à 50%, « le coup de grâce »

Et le secteur immobilier n’avait pas besoin de ça. Selon les notaires, les transactions immobilières ont déjà reculé de 15% à 20%. Après la loi des 1000%, puis celle sur la plus-value à 50%, ces nouvelles mesures sont donc vécues comme un « coup de grâce » . « Déjà qu’il y a une forte baisse de l’activité dans l’immobilier à cause de la hausse des taux d’intérêt, ces mesures-là viennent condamner définitivement beaucoup de programmes immobiliers, puisque ça remet en cause les plans de financement, la façon dont les personnes peuvent aborder l’acquisition« , poursuit Jean-Philippe Pinna.

Des observations partagées par certains professionnels de l’immobilier comme Thomas Vigo, gérant d’une agence. « Il est certain que les acquéreurs sont plutôt dans une situation d’attentisme, et notamment ceux qui doivent faire appel à un emprunt bancaire. C’est dû notamment à la hausse significative des taux d’intérêt ». Des taux qui atteignent aujourd’hui 4 à 4,50%, selon le comité local des banques, soit deux fois plus cher que l’année dernière. Résultat : les acquéreurs auraient perdu sur un an 20% de leur pouvoir d’achat.

Pour fluidifier le marché, notaires, promoteurs et agences immobilières alertent sur l’urgence de débloquer au moins deux tiers des terrains en indivision. Mais ils militent aussi pour diviser par deux les frais d’enregistrement, exonérer la TVA sur les matériaux de constructions pour les promoteurs à partir de six logements, ou encore mettre en place un taux à 0% pour les primo-accédants. Selon le président de la fédération polynésienne des agents immobiliers Jacques Menahem, ce serait alors au Pays de se mettre d’accord avec les banques pour prendre en charge une partie des intérêts. « Pour les premières acquisitions, pour les pousser à acquérir, il faut que les taux soient à zéro. Cela va coûter un peu d’argent, mais on peut s’arranger avec les banques pour donner l’accès à la propriété aux jeunes ménages ».

« On n’est pas contre la justice fiscale, mais il faut faire attention de ne pas arrêter l’activité »

Jean-Philippe Pinna, président de la chambre des notaires

L’allégement de la fiscalité aux primo-accédants est d’ailleurs prévu par la réforme. Et si c’est la seule mesure bien accueillie par les professionnels, ces derniers n’ont toujours pas digéré l’absence de concertation qui a « rompu la confiance » et généré une « insécurité juridique ». « Instaurer de nouvelles taxes cinq semaines avant la fin de l’année, dont certaines rétroactives, c’est anxiogène pour les entreprises, assène le représentant de la fédération générale du commerce, Thierry Trouillet. On veut bien faire des efforts, c’est d’ailleurs nécessaire, mais il faut qu’on puisse partager une même vision de la Polynésie de demain ». Même regret du côté des notaires. « Les professionnels de l’immobilier sont à même d’expliquer les conséquences, l’effet domino d’une mesure, on n’est pas contre la justice fiscale, mais il faut faire attention de ne pas arrêter l’activité », déplore Jean-Philippe Pinna.

Crédit photo TNTV

Enfin, la réduction des taux de la défisc’ local de 60% à 30%, voire 20% sur Tahiti, Moorea et Bora Bora a fini d’anéantir les derniers espoirs du BTP, notamment sur le village Tahitien et ses 59 milliards d’investissement. Et si la réforme fiscale avait l’ambition d’épargner les petites gens, les professionnels du BTP rappellent qu’ils sont une immense majorité de micro-entreprises : soit plus 4 500 sociétés, dont 91% comptabilisent moins de deux salariés.

« La cible n’est pas la bonne » souligne le président du Medef Frédéric Dock. « Il faut rappeler qu’en Polynésie, l’activité n’a jamais été aussi solidaire des plus démunis, on le voit avec l’augmentation de la CST, on le voit avec la PSG. Tout ça, c’est de la solidarité. Aujourd’hui, on finance une activité trop faible, et si on veut en financer plus, il faut augmenter l’activité. Et les mesures qu’on présente aujourd’hui ne vont pas dans ce sens« . À quelques jours de la session budgétaire censée entériner le projet de loi de Pays, les acteurs économiques espèrent avoir été entendus.

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